“Rendez-vous à Brasilia”, chantait… Charles Aznavour, l’année de la création de la nouvelle capitale brésilienne. Ici, la végétation taquine le béton, au point de l’attaquer, parfois. Brasilia, née en 1960 au milieu de nulle part (le cerrado, immense plateau grand comme la moitié de la France), est une capitale improbable sortie de l’imagination féconde de deux visionnaires, Oscar Niemeyer (toujours bâtisseur à 103 ans, en 2011 !) et Lucio Costa. Une métropole de toutes les contradictions où les vrais gens habitent à 30 bornes et plus, où le ciel vous domine, vous écrase, vous fait sentir qu’il est le maître. Brasilia, ses piétons absents du centre des ministères et ambassades (encore plus qu’à L.A.), mais grouillants aux arrêts de bus, ses rues aux chiffres en guise de noms (genre “setor Norte, quadra 5, bloco G”, quelle poésie !) mais à la vie nocturne aux confins de l’underground. Voici deux spots noctambuliens, deux escapades à condition de lâcher son costard de businessman ou d’institutionnel.
Malte Jaeger/LAIF-REA
D’abord, le Clube de Choro de Brasilia. Ce genre musical, précurseur instrumental de la samba au début du 20° siècle et lointain cousin du swing jazz, a grandi dans les bars de Rio et São Paulo. Il est pour le moins étonnant qu’il ait rebondi dans la nouvelle capitale fédérale, à partir de la fin des années 70. C’est grâce à l’énergie d’une poignée d’anciens, et à la montée en puissance d’une nouvelle génération de virtuoses des instruments acoustiques, notamment le king absolu du bandolim (la mandoline portugaise), Hamilton de Holanda, reconnu sur les scènes européennes et… enfant de Brasilia. Pensez donc, l’Ecole de choro Raphael Rabelo, 650 élèves (la seule du genre au Brésil), un vivier incroyable ; plus un auditorium de 400 places, avec concerts du mercredi au samedi, mêlant nouveaux talents du cru et grandes gloires nationales. Le tout, installé depuis 1997 dans un bâtiment futuriste conçu par… l’infatigable Oscar Niemeyer. Bref, le choro, plutôt marginalisé au Brésil, vit une nouvelle jeunesse à Brasilia.
Autres rythmes et même singularité, le collectif de DJs Criolina et leur soirée au bar Calaf. Incongru : le must des nuits de Brasilia dans un restaurant espagnol qui ne paie pas de mine, au pied d’une tour, et qui plus est, le lundi ! Les résidents, le duo Pezão et Barata (quand ils n’arpentent pas les dancefloors européens) plus Daniel Black et Oops, donnent la fièvre à la capitale avec leur mix afro Brasil : samba soul, hip hop, afrobeat, reggae, funk. DJs et groupes live de tout le Brésil sont leurs guests, on y a même vu Manu Chao en concert ! Chaud devant, muito “quente” (et pas caliente, c’est de l’espagnol !), on s’y bouscule. Depuis le début 2005, c’est le rendez-vous obligé des piliers du groove et de l’electro. Jeunesse branchée, fonctionnaires “décravatés” et diplomates hors mission s’y côtoient. Brasilia, en fait.
Par
Rémy Kolpa Kopoul
Photographie de couverture : Pedro Guimaraes/4SEE-REA