Etats-Unis

Joshua Tree ou la tentation du désert

Joshua Tree ou la tentation du désert

Artistes et aventuriers de la vie y viennent en nombre. Terre puissante, le parc national de Joshua Tree vibre d’une énergie tellurique hors du commun. Exploration d’une autre Californie, de l’opulence rétro-moderniste de Palm Springs aux confins du désert de Mojave, en passant par 29 Palms.

 

Il y a des clichés dont on ne se lassera jamais. On a beau les avoir vus des centaines de fois en photos, sur les écrans, dans les pages des magazines, les avoir imaginés dans les romans, on reste saisi par la beauté de l’image : allées de palmiers gigantesques sur un fond de ciel azur, au loin des silhouettes de montagnes majestueuses et, au premier plan, un horizon d’architectures modernistes à l’esthétique fifties intacte. À Palm Springs, le moindre détail relève d’un casting idéal, d’un stylisme parfait. Les cactus et les oliviers qui bordent les villas sont tous taillés et disposés avec soin. Même les voitures devant les portes des garages ont l’air d’avoir été choisies pour matcher avec la palette de couleurs locales.

 

route de Joshua tree

 

La ville ne semble pas avoir pris une ride depuis les années 1950, époque où les premiers propriétaires commencèrent à échafauder ce rêve de villégiature pour esthètes en plein désert. Les maisons sont toutes fraîchement repeintes dans des teintes naturelles (ocre, vert olive ou sable) les fondant presque dans le paysage. Les jardins sont ciselés, tels de petits bijoux de design paysager. Les grandes portes d’entrée rectangulaires en forme de tablettes de chocolat aux couleurs pop sont devenues des vedettes d’Instagram. La “Pink Door”, au 1100 East Sierra Way, fait partie des stars locales. Les touristes et Californiennes en goguette viennent s’y photographier régulièrement. Palm Springs ne fait pas dans la demi-mesure. On y vient pour fuir la jungle urbaine et oublier le monde le temps d’une parenthèse enchantée en Technicolor. Les Indiens ne s’y étaient pas trompés, eux qui les premiers s’y étaient installés pour profiter de ses sources aux vertus miraculeuses. Au fil du temps, la ville a attiré les stars d’Hollywood (Frank Sinatra, Elvis Presley, Marilyn Monroe et Steve McQueen y eurent chacun une maison), les riches retraités et les jeunes qui viennent siroter des cocktails dans les piscines d’hôtels, alanguis sur des bouées en forme de donuts ou de flamants roses. L’été, le thermomètre descend rarement en dessous de la barre des 40 °C, plongeant la ville et ses habitants dans un slow motion lascif et un brin décadent.

 

Maison de Palm Spring

 

Une nature en résistance

Pour humer le parfum de l’Ouest profond, il faut quitter Palm Springs et son Low Desert (désert de basse altitude) et s’aventurer dans les terres, vers le nord, en direction de Joshua Tree. Une immense forêt d’éoliennes, parmi les plus grandes de la région, signale le départ vers un autre type d’expériences. Dans cette zone battue par les vents, où les tempêtes de sable sont légion, règne une ambiance un brin apocalyptique. Un épais nuage de poussière recouvre presque chaque jour la route – au point que le rectangle orange fluo signé de l’artiste Sterling Ruby pour la biennale d’art contemporain Desert X, qui présentait une série d’œuvres d’art in situ installées autour de la Coachella Valley de février à avril 2019, est à peine perceptible.

Superflex

Une vingtaine de kilomètres plus loin, une autre sorte de végétation nous attend, marquée par la présence d’une espèce de yucca singulière : le Joshua Tree, ou arbre de Josué, ainsi baptisé par des mormons au XIXème siècle. Sa silhouette tordue et ses branches, comme des bras levés vers le ciel, lui donnent l’air de danser dans le vent. En 1987, le groupe de rock U2 a rendu cet arbre célèbre en intitulant son cinquième album The Joshua Tree. Une série de photos en noir et blanc du groupe dans la région acheva de populariser l’arbre du désert californien. Sa présence signale notre entrée dans le High Desert, situé entre 610 et 1 200 mètres d’altitude au-dessus du niveau de la mer. On vient du monde entier pour admirer sa concentration impressionnante dans cette partie du désert de Mojave classée parc national en 1994. À Joshua Tree, plus qu’ailleurs dans le sud-ouest américain, le spectacle de ces arbres atteint son apogée. Impossible de rester insensible à leur dégaine pleine de charme et d’imperfection, ni au symbole de résistance qu’ils représentent. Les Joshua trees peuvent en effet vivre entre deux cents et cinq cents ans et résister à la sécheresse et à des températures extrêmes (45 °C à l’ombre l’été).

Western Flag

Au printemps, le désert prend un caractère plus amical. Surtout, au mois de mars et jusqu’en avril, lorsque la terre aride se met à se recouvrir de petites fleurs de toutes les couleurs. Ce moment appelé “super bloom” ne dure que quelques jours pendant lesquels les pierres de granit brûlées par le soleil cohabitent avec des pétales délicats. Le granit, c’est aussi l’élément qui symbolise le parc, célèbre pour ses immenses concrétions de magma solidifié vieilles de plusieurs millions d’années. Certaines roches évoquent des crânes, d’autres des arches. D’autres encore créent des constructions aux équilibres instables. Du pur land-art naturel. Les mordus d’escalade viennent s’accrocher à ces rochers, mais rien ne sert d’être un pro pour grimper sur ces formations granitiques. Beaucoup sont accessibles à pied, à raison de quelques efforts. Une fois arrivé dans les hauteurs, le paysage découvre son immensité. “Certaines personnes pensent que le parc possède une énergie particulière, qu’on y est connecté au vortex, nous explique Ethan, guide local. Ce qui est sûr, c’est que ce type de lieu, loin de toutes civilisations et avec une telle intensité d’éléments, nous repositionne par rapport au monde.”

 

L’invasion des hipsters

Pendant les années 1970, l’endroit était très fréquenté par les hippies et les artistes qui venaient s’y ressourcer et s’y inspirer. Depuis quelques années, à nouveau, le parc et la région redeviennent des lieux de retraite. La fréquentation du parc a d’ailleurs triplé en dix ans, passant de 1 à 3 millions de visiteurs par an. Ce qui n’est pas sans avoir un impact sur ce fragile écosystème, connu pour être la zone la plus sèche de Californie. La région entière attire une nouvelle population : les hipsters de Los Angeles en quête de nature et de dépaysement. Le Pappy & Harriet’s, le bar-restaurant aux allures de saloon de cow-boy de Pioneertown, est même devenu le point de ralliement de toute une nouvelle communauté éclectique et de plus en plus branchée. Ce nouveau QG est installé dans le Pioneertown Palace, un des décors de cinéma créé par les fondateurs de Pioneertown en 1946.

 

Terrasse de maison Mojave

 

L’idée est venue de deux acteurs d’Hollywood qui rêvaient de construire une petite ville à la fois pour y tourner des westerns et pour en faire une destination touristique. Le résultat bluff e encore : on traverse le village à pied par une route principale en terre battue bordée de petites maisons étroites en bois – ce qui n’est autre qu’un effet d’optique pour accentuer la taille des hommes et des chevaux sur la pellicule. La petite église, l’atelier du ferronnier, du céramiste, la salle de bal, le saloon, la poste, tout y est. Sauf la population – quasi inexistante en dehors des heures et des jours d’ouverture de Pappy & Harriet’s qui concentre toute l’agitation. Chaque fin de semaine, les groupes locaux défilent sur la petite scène pendant que les tablées dégustent des ribs (travers de porc) cuits au feu de bois. Les stars de la musique de passage n’hésitent pas à prendre le micro ou à improviser avec leurs guitares. Les lundis soir, la soirée “openmic” invite les amateurs à monter sur scène le temps de quelques morceaux. Folk, rock, country, les chanteurs et groupes s’enchaînent dans une atmosphère de Far West hors du temps. Rançon du succès, il faut en moyenne attendre plus de deux heures pour avoir une table. Dans la région, les restaurants les plus populaires rencontrent le même problème, n’arrivant pas à faire face à l’affluence. Et comme tout le monde n’est pas près d’ouvrir à l’année un commerce dans le désert, les bonnes adresses restent peu nombreuses et très sollicitées.

Motel Mojave

 

Une terre de renouveau

“Il faut une certaine maturité pour vivre dans cette région. Le désert nous confronte à nous-mêmes, à nos envies, nos projets, nos limites. Il s’agit de s’adapter à l’environnement, sinon c’est lui qui vous mettra dehors. En revanche, quand on s’y fixe, c’est le lieu idéal pour se révéler à soi-même”, témoigne Lili Tanner qui y a posé ses valises il y a dix-huit ans après avoir vécu en Suisse d’où elle est originaire, puis à Los Angeles. Tombée amoureuse de la région lors d’un court séjour pour visiter le parc de Joshua Tree, elle a trouvé une maison des années 1950 au pied des montagnes, près de 29 Palms, où elle vit en compagnie des oiseaux et des jackrabbits (des lièvres). Cette ancienne critique d’art et d’architecture et scénariste pour le cinéma mène désormais une vie d’artisan. Elle crée des bijoux en bronze et des sacs en cuir dans l’atelier attenant à sa maison. Ses créations connaissent un certain succès à la fois sur internet, sur les marchés de créateurs locaux et dans les boutiques de Palm Springs. Parce qu’elle aime recevoir et échanger, elle a aussi depuis quelque temps ouvert les portes de sa maison et accueille ses hôtes dans un studio indépendant. Un de ses derniers invités n’était autre que l’Irlandais Steve Averill, directeur artistique qui a conçu toutes les pochettes d’albums de U2. Il n’était pas revenu là depuis cette fameuse séance photo avec le groupe il y a un peu plus de trente ans.

 

Villa de Palm Spring

 

Il y a des lieux qui appellent au retour ou qui s’imposent d’eux-mêmes comme des points d’arrivée. Joshua Tree est de ceux-là. Emmanuel et Kiloo, deux Français citadins, ont roulé leur bosse un peu partout dans le monde avant de poser leurs bagages il y a trois ans au nord de Pioneertown, dans un no man’s land de nature sauvage appelé Wonderland of Rocks. Autour de leur propriété, des petites collines de rochers aux rondeurs affables, une terre ocre, des Joshua trees… Aucune construction n’est visible à 360 degrés. Un paysage de maquis, digne des plus beaux westerns grandeur nature. Bientôt, ils mettront en place des stages d’initiation à la permaculture et s’attèleront à la construction d’un nouveau potager. Ici, la relation directe avec la nature prime sur tout le reste. Quoi de plus beau que la pureté du ciel pour toit et les rochers granitiques à perte de vue comme décor quotidien ? Ce site fait partie de la région du désert de Mojave et des montagnes de San Bernardino, désigné en 2016 par le Président Obama comme “monument national Sand to Snow” (du sable à la neige). L’artiste américain Ed Ruscha, dont les toiles s’arrachent sur le marché de l’art contemporain, compte parmi ses grands protecteurs. Il y possède une maison et n’hésite pas à acheter tous les terrains disponibles de la zone, de manière à éviter tout envahissement.

 

Guirlande à Palm spring

 

Matrice inspirante et solaire

Arthur et Joanna ont quant à eux quitté leur Pologne natale en quête de soleil. Le hasard de la vie les a fait visiter ce morceau de Californie. Ils ont aussitôt ressenti sa beauté et sa quiétude, comme venues du fond des âges. Depuis 2015, ils façonnent les collections de leur studio Dust Ceramics au milieu du désert, ouvrant régulièrement les portes de leur maison-atelier aux visiteurs, notamment pour des formations de céramique. De nombreux artistes et makers ont, comme eux, fait ce choix, de travailler en pleine nature, connectés à la terre qu’ils subliment de leurs mains. L’Américain Jonathan Cross, qui expose dans des galeries de Los Angeles et de New York, partage ainsi sa semaine entre Pasadena, où vit sa famille, et 29 Palms. Son studio et ses fours à bois traditionnels se trouvent près de la route principale. Toute sa production d’objets et de sculptures en céramique est cuite dans ces grands fours (cinq jours de cuissons au cours desquels les fours doivent être alimentés en permanence). L’artiste utilise un argile ocre local, nommé Corona, mélangé à des cendres de bois. Les formes géométriques et anguleuses de ses créations ne sont pas sans rappeler les granits cassés et brûlés par l’érosion que l’on trouve au pied des montagnes toutes proches. Pour Jonathan Cross, ce lieu s’est imposé à lui comme sa terre d’inspiration, sa matrice.

 

Vintage sunny

 

C’est aussi l’histoire de Claire et Niki, un couple de trentenaires lookées et souriantes qui rêvaient d’ouvrir ensemble un restaurant. Elles se sont promenées dans la région et ont trouvé un lieu le long de la Old Woman Springs Road, près de Landers. Elles ont capté la beauté du paysage, l’énergie des lieux, l’ouverture d’esprit et de cœur des habitants et, en 2015, ont inauguré La Copine. Leur table est rapidement devenue la plus réputée de la région. Aucune réservation possible, mais une fi le d’attente qui ne désemplit pas. Les clients patientent, ravis, sur la terrasse de l’entrée, un verre de vin à la main. À l’intérieur, ces deux passionnées servent une cuisine qu’elle nomme “New American”, majoritairement végétarienne et essentiellement locale, faite d’un mélange d’inspirations françaises, américaines et asiatiques. On s’y régale de chou kale, d’épices, de fromage de chèvre à la lavande… Et on en ressort avec une autre saveur américaine sur les papilles. Quelque chose de solaire, de pétillant, de terrien, d’authentique et de singulier. Comme ce désert californien de tous les possibles.

 

Par

MARION VIGNAL

 

Photographies

PIA RIVEROLA