Aucun autre genre télévisuel n’a suscité un tel engouement : depuis 30 ans, les séries ont investi nos petits écrans, influençant la mode et le design, alimentant l’analyse sociologique et le journalisme d’investigation, façonnant nos représentations.
Plébiscité par le public, le genre est longtemps resté ignoré par la critique. Aujourd’hui revues, colloques, séminaires y sont consacrés – et à Paris, au Forum des images, un festival, Série Mania. Les séries américaines fortes d’une capacité de production sans équivalent (chaînes payantes, chaînes du câble et networks) se démarquent par leur qualité. En 1988, Robert Altman chronique en 11 épisodes la campagne pour la primaire démocrate du candidat fictif Jack Tanner, avec Tanner 88. L’audience de cette série aux airs de documentaire va rester confidentielle, et c’est David Lynch qui, en 1990, va bouleverser les relations entre petit et grand écran, avec la série culte Twin Peaks. Aujourd’hui, preuve de la porosité des frontières entre télévision et cinéma, les grands cinéastes américains, de Tarantino à Spielberg, sont séduits par cette forme de narration longue qu’est la série. Gus Van Sant signe le pilote de Boss, qui met en scène le maire de Chicago, monstre politique cynique et corrompu – une fable aux accents tragiques en même temps qu’un splendide portrait de la ville de Chicago. Martin Scorsese produit Boardwalk Empire, chronique sur la Prohibition à Atlantic City, station balnéaire du New Jersey, qui relate le parcours de Enoch Nucky Thompson, baron du crime qui profite de la prohibition pour étendre son empire. Naissance de l’Amérique moderne, mafia, relations filiales : Boardwalk Empire concentre les thèmes chers au réalisateur des Affranchis.
Des qualités scénaristiques souvent supérieures à celles des long-métrages de cinéma, un récit qui s’installe dans la durée, une puissance critique inégalée : c’est aujourd’hui à la télévision que s’écrit le storytelling américain. Feuilletons policiers ou judiciaires, sagas intimistes, chroniques politiques ou fresques sociales - trauma du 11 septembre, après-Katrina, de Baltimore à New-York, de Miami à San Fransisco, les séries nous racontent splendeurs et misères de l’empire américain.
The Wire
Fait en 5 saisons la chronique de la ville de Baltimore à travers ses institutions - police, justice, syndicats, éducation, partis politique et presse. David Simon, le réalisateur de la série, ancien journaliste au Baltimore Sun, déplorait que la presse, dans une des villes les plus pauvres des Etats-Unis, ne traite plus des problèmes de société : la télévision lui a offert la possibilité de documenter le Baltimore des années Bush. Dans The Wire, il questionne les maux de la société américaine et - mettant en scène des expérimentations politiques utopiques - interroge la possibilité d’un changement. Une grande œuvre politique.
> David Simon et Ed Burns, HBO
La traduction française de The Wire – Sur Ecoute – Enquête sur un marché de la drogue à ciel ouvert, l’enquête de David Simon et Ed Burn, entre journalisme d’investigation et littérature, à l’origine de The Wire, vient de paraître aux éditions Florent Massot.
Mad Men
Nous plonge dans le monde glamour de la pub new-yorkaise des sixties, pour donner à voir les dysfonctionnements d’un monde en apparence parfait, portant un regard sans concession sur la société de consommation naissante. Les « Mad men », ce sont les « pubards », les publicitaires de Madison Avenue qui font une consommation effrénée d’alcools forts et de cigarettes, multiplient les liaisons amoureuses pour ne pas voir la vacuité du rêve américain dont ils créent jour après jour les slogans. Une mise en scène virtuose, une écriture ciselée qui pointe aussi le sexisme et le racisme à l’œuvre durant ces années de prospérité économique.
> Matthew Weiner, AMC
Breaking Bad
Met en scène la rupture morale de Walter White, prof de chimie, marié, père de famille, qui, apprenant qu’il est atteint d’un cancer, va s’associer avec un jeune dealer pour devenir fabricant de méthamphétamine. Cette série drôle et déjantée se déploie dans des paysages de Western, au Nouveau-Mexique.
> Vince Gilligan, AMC
Treme
C’est le nom d’un des plus anciens quartiers de la Nouvelles Orléans, berceau du jazz et du carnaval. La série documente le désastre économique qui suit le passage de l’ouragan Katrina sur la Nouvelle-Orléans, à travers le portrait de quelques uns des habitants de la ville, des personnages vivants, imparfaits, remarquablement interprétés. Un traitement documentaire, un rythme affranchi des codes de la série – avec des lenteurs, des hésitations, qui sont celles de la vie-même. Et au cœur de Treme, la vie, le combat pour la renaissance d’une ville au son des orchestres de jazz...
> David Simon et Eric Overmyer, HBO
Homeland
Décline le thème de la menace terroriste en explorant une thèse classique de la littérature d’espionnage, celle de l’ennemi intérieur : Carrie Mathison, membre de la CIA, est persuadée que Nick Brody, soldat américain porté disparu en Irak en 2003, retrouvé 8 ans plus tard lors d’un raid visant le terroriste Abu Nazir, a été « retourné » pendant sa captivité. Nerveux et intelligent.
> Howard Gordon et Alex Gansa, Showtime Network
Photographie de couverture : Samuel Zuder / LAIF-REA