La Colombie n’est pas un pays possédant une société unifiée. Ce sont plutôt plusieurs pays qui composent un kaléidoscope culturel d’une richesse inimaginable. C’est une leçon de diversité et de multiplicité difficile à percevoir à ce point dans un autre endroit du globe. C’est pourquoi, en le parcourant, la sensation n’est pas celle d’être en train de visiter un pays d’Amérique du Sud mais d’être initié à un mystère. Nous ne voyageons pas pour connaître le monde mais pour nous explorer nous-mêmes.
Il y a quelques années, j’ai appris l’histoire du professeur Luis Soriano, dans la Sierra Nevada de Santa Marta, secteur de la Caraïbe colombienne, à mi-chemin du Macondo de García Marquez et de la mythologie des tribus indigènes qui habitent ces montagnes.
Un beau jour, le professeur Soriano décida que ce n’était pas suffisant de proposer aux élèves de son collège les lectures d’Homère, de Dante ou de Balzac. Il voulait plutôt leur transmettre à tous, aussi bien à ses élèves qu'aux paysans et travailleurs des petits villages du département, la magie de la lecture. Mais il n’avait pas un sou. Il mit alors une grande partie de sa bibliothèque dans une malle en bois, la posa sur un âne et alla de village en village, expliquant à leurs habitants l’importance des livres, la différence qui existe entre une personne qui lit et celle qui ne le fait pas.
Il leur prêtait des romans, des livres de contes, des recueils de poésie, des essais, des pièces de théâtre. Après, il les récupérait et leur en prêtait d’autres. Ils organisaient des débats sur les places publiques, ils discutaient des aventures des personnages d’Alexandre Dumas, ils rêvaient ensemble des mondes merveilleux de Don Quichotte ou apprenaient par cœur les poèmes de Baudelaire. C’est ainsi que naquit la Bourricothèque, une chaîne de distribution de livres à dos d’animal.
Marta Nascimento/REA
Partout dans le pays, il y a des exemples de cette créativité débordante, de cette force qui fait face à toute sorte d’adversité : Dans les maisons de la culture, dans les quartiers apparaissent des rappeurs, des musiciens comme ChocQuib Town, des artistes plasticiens ou des amoureux de la littérature qui subitement récitent dans les rues ou dans les bus les textes d’Octavio Paz ou de Neruda.
Dans les quartiers marginalisés de Carthagène des Indes par exemple, est née, grâce aux danseurs, chorégraphes et pédagogues comme Marie France Delieuvin et Álvaro Restrepo, la compagnie de danse contemporaine El Colegio del Cuerpo. On y retrouve des garçons pauvres, enfants de maçons ou de domestiques, provenant des couches les plus défavorisées de la périphérie de cette ville, et qui ont déjà gagné plusieurs prix internationaux.
Les figurants du réalisateur de cinéma, Victor Gaviria, acteurs qui auparavant étaient chauffeurs de taxi ou tueurs à gages et que nous avons revus dans les festivals de cinéma de plusieurs pays recevant des prix pour leur talent incomparable dans les films devenus d’ores et déjà légendaires dans la cinématographie latino-américaine et mondiale.
Ceci démontre la capacité extraordinaire d’invention du peuple colombien et son héroïsme anonyme. C’est un pays où l’on apprend une leçon inoubliable : il n’y a pas d’adversité susceptible de ne pas être surmontée par le biais d’un exercice méthodique et discipliné de créativité. La Colombie nous confirme, pour la énième fois, que le Tiers-Monde n’est pas du sous-développement, mais de l’avant-garde pure, de l’intelligence sans limite, de l’imagination et de la résistance lucide qui nous offre l’ouverture sur un Nouveau Monde.
Par
MARIO MENDOZA ZAMBRANO
Auteur colombien
Traduction
CATALINA LEYTON DELOBELLE