Dans la favela pacifiée de Vidigal, à Rio de Janeiro, les “patrons” ont remplacé les caïds. La Française Nadine Gonzalez y a fondé une école de mode pour les étudiants venus des communautés.
En quittant les plages de Leblon et en suivant l’avenue Niemeyer sinuant en bord de mer vers le sud, on pourrait presque rater l’entrée de la favela Vidigal. Une rue perpendiculaire cisaille une colline escarpée où s’empilent chaotiquement des édifices peu orthodoxes. Un bataillon de motos-taxis zigzaguent jusqu’au sommet, coiffé d’une boutique-hôtel et d’un bar-club. Les cabanes de tôles rongées voisinent avec les petites échoppes stylées. De ce magma de parpaings, de façades peintes de couleurs vives et de végétation incontrôlée s’échappent des ados en short, des Brésiliennes encadrées de marmaille, parfois même quelques hipsters, signe des temps. Si Vidigal a de tout temps attiré les artistes, l’afflux des créateurs et des investisseurs s’est intensifié après sa pacification en 2013, qui en a chassé les gangs. Mais quel qu’en soit l’habitant, il vit ébloui par la stupéfiante beauté du panorama : le ruban de sable des plages de Leblon et d’Ipanema, l’œil humide de la Lagoa, le Pão de Açúcar (mont du Pain de Sucre).
C’est au détour de la rue principale que l’on rencontre Nadine Gonzalez. À l’image des lieux, la Française, qui arbore ce jour-là un blouson coloré, est vibratile, animée, énergique. Dans sa casa rougeoyante bruisse le martèlement feutré de machines à coudre. De jeunes Brésiliens lookés, cheveux colorés ou en afro, tee-shirts graphiques, virevoltent entre bobines de fil et rouleaux de tissu. Ce sont les vingt étudiants de l’école de mode qu’elle a fondée, la Casa Geração. Tous ont été élevés dans une favela, dont deux sur cette colline, et ils suivent les cours gratuitement. Nadine, -rédactrice en chef mode à Paris il y a dix ans, n’imaginait pas ce destin. Mais pour ses 30 ans, elle se fait offrir un billet d’avion Paris-Rio par ses amis. Le voyage est une révélation : la jeune femme intense succombe à l’énergie de Rio et quitte sa vie parisienne. Pleine d’aplomb et d’audace, elle compte mettre à profit sa connaissance de la mode pour agir sur la société qu’elle découvre. “J’ai vu que les Cariocas étaient créatifs, mais ne savaient pas comment utiliser leurs qualités.” Elle monte avec une associée, Andrea Fasanello, une marque de mode éthique et respectueuse de l’environnement, ModaFusion. D’emblée, Nadine l’iconoclaste frappe fort : elle fait créer une collection de lingerie par des prostituées. La presse adore. La jeune femme emploie aussi des brodeuses traditionnelles dans les villages, des prisonnières : elle rêve de réinsérer les femmes vulnérables. Nadine affronte les Cariocas durs à cuire avec un mental de chef. Elle frappe à toutes les portes, défend ses projets : ses vêtements et créations finissent par se vendre dans les concept stores et magasins chics des grandes capitales. Mais pour cette acharnée, ce n’est pas suffisant. “J’ai compris que l’éducation était un point clé pour aider la population”, -explique-t-elle.
"J’ai compris que l’éducation était un point clé pour aider la population"
Alors Andrea et Nadine décident de fonder une école de mode qui offrirait des cours gratuits aux jeunes des favelas. “Avec eux, je voulais mettre sur pied une mode qui leur ressemble, qui respire ce qu’ils aiment.” Elles choisissent la favela bohème de Vidigal pour s’implanter, et dénichent un ancien atelier de carrosserie où trône leur bâtiment teinté cerise dans une petite cour brodée d’arbres -touffus. Les élèves suivent des cours d’histoire de la mode, de marketing, de technique, de style… De prestigieux stylistes ou marques collaborent ou parrainent : Converse, Twins for Peace, Yassine Saidi (le directeur artistique de Puma), Lenny Niemeyer (la prêtresse du maillot de bain)… La dynamique Nadine assure la promotion, lève des fonds avec une foi inébranlable et l’enthousiasme des pro-actifs qui ont une idée à la minute… et parviennent à les réaliser. Elle développe même un département “agence créative” sur lequel se jettent les marques cariocas : “L’agence emploie d’anciens élèves qui font de la recherche d’imprimés, du placement de produit, des collections capsules. Les bénéfices sont reversés à l’école, car nous voulons nous autofinancer.” Petite école deviendra grande… 2016 étant l’année de la consécration pour le duo de la Casa Geração.
L’agence a participé à la création d’un parfum, la ligne d’active wear est maintenant vendue à la boutique Front de Mode à Paris et, pour couronner le tout, “la Fashion Week des créateurs de São Paulo nous a invités. Imaginez : sept collections présentées, exclusivement conçues par des étudiants des favelas. Nous étions très attendus. Le retentissement a été immense, les propositions ont afflué”. Nadine s’est ainsi vu proposer d’ouvrir une seconde école à São Paulo. Également en ligne de mire : la Casa Geração en -banlieue parisienne pour septembre 2017. “Voilà dix ans que je travaille avec les communautés, et la qualité de la méthodologie a porté ses fruits”, se réjouit-elle. Prochaine étape à Rio : la restructuration de la Casa Geração Vidigal, qui sera rouverte en février. “Par un micmac dont les Brésiliens ont le secret, on a dû quitter notre emplacement, qui est vendu. Mais nous en profitons pour nous installer dans un autre immeuble de Vidigal, dont on investira chaque étage : en bas l’école, à l’étage du dessus des femmes de la favela qui vont coudre les collections, et en haut l’agence créative. Nous voulons aussi monter une école pour les enfants des couturières…” Nadine n’est jamais à court de projets : “J’en arrive enfin à ce que je souhaitais, créer un réseau international et faire circuler ces jeunes des périphéries dans le milieu de la mode.” Et dire que tout a commencé grâce à un “aller-retour cadeau” Paris-Rio.
Par
Katia Pecnik
Photos
Mauricio da Costa Moreira Silva
Quand JR ouvre aussi sa “casa”
En 2008, l’artiste JR entreprend le projet “Women Are Heroes”
au Brésil. Il cible alors la favela Morro da Providência, -réputée pour sa violence. Il couvre les toits, murs et escaliers du plus ancien bidonville de Rio de pénétrants regards de femmes, au son des tirs tout proches. Après cette expérience intense, JR souhaite continuer à s’investir à Providência. Avec le -photographe et historien -Maurício Hora, il inaugure un centre culturel et éducatif à destination
des habitants, la Casa Amarela, au sommet de la favela. Après une longue montée de 400 marches, on découvre la “maison jaune”
devenue une œuvre vibrante, gainée par une sculpture de Dirby
et Takao Shiraishi et décorée par le duo Os Gêmeos.
La Casa propose des activités quotidiennes, cours de dessin,
de photo, d’anglais, projections de films, et a elle accueilli
des expos cet été durant les JO.
Plus d’informations sur cofondation.net
À voir : le documentaire Women Are Heroe réalisé par JR dans la favela.
La Casa Geraçao Vidigal et la Casa Amarela de JR ouvrent leurs portes,
sur demande, pour des visites guidées par Voyageurs du Monde.