Véritable seuil Alpin de l’Italie, le val d’Aoste mérite qu’on s’y arrête, comme on le fait avant d’entrer chez un hôte : déjà plus chez soi, pas encore chez lui. Et quelle transition : mont Blanc, Grand Paradis, Cervin, mont Rose à l’horizon. Excusez du peu ! Un pays de cocagne avec ça, où les nourritures terrestres sont généreuses et enracinées en leur terroir. L’histoire partout en prime. Une sélection donc, pour se convaincre, des plus beaux villages de la vallée d’Aoste, d’ouest en est.
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Courmayeur
Bourg peut-être, plutôt que village, à 1224 mètres d’altitude, au pied du mont Blanc dans le haut Valdigne. C’est le cadre de nature qui d’abord époustoufle : haut, pur, aigu, souligné du vert bref, sombre, des sapins et des mélèzes. L’été, la roche gris pâle donne à voir l’éternité de la montagne. Il y a quelque chose de glorieux dans tout ça. Toute saison. Le vieux village est encore empreint de charme rétro et les constructions station - quel domaine skiable ! - cherchent, et trouvent souvent, la formule d’une intégration réussie au contexte. On se documente, sur la place éminente qu’occupe Courmayeur dans l’histoire de l’alpinisme, au musée Duc des Abruzzes dans la belle maison traditionnelle de la Société des guides alpins. On se promène rue de Rome : shopping, apéritif, façades léchées, fleurs aux balcons. L’austère tour Malluquin satisfait à l’esthétique contemporaine, en dépit de ses six siècles d’existence. Au nord-ouest de l’agglomération, à l’entrée du val Vény, le sanctuaire Notre-Dame de la Guérison mérite qu’on s’y arrête, pour son décor XIXe et parce que les papes qui viennent dans le coin respirer l’air pur en ont fait une chapelle quasi-pontificale.
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Pré-Saint-Didier
Si l’intérêt pour les eaux ferrugineuses et les boues du vallon de La Thuile est antique, c’est le XIXe siècle qui, comme en bien des cas, a donné à Pré-Saint-Didier-les-Bains (ainsi disait-on alors) sa physionomie actuelle. Le thermalisme était à la mode. Il entretenait les organismes, mais aussi une sociabilité élégante. Et l’on se plait aujourd’hui à l’atmosphère Belle-Epoque dont la petite station - pas même un millier de résidents permanents - ne s’est pas départie. Les bâtiments anciens ont été restaurés et, par-dessus l’indifférence du second XXe siècle, le glamour aquatique contemporain renoue avec celui d’antan. Le long de la Doire du Verney, qui laisse cascader ses eaux depuis le col du Petit-Saint-Bernard, appuyés à de solides épaulements rocheux, les anciens bains, 1834, et le casino, 1888, ont été réunis pour former le nouvel établissement thermal up to date.
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Cogne Veulla
La situation de Cogne, une fois dite, suffit à déclencher la rêverie : sur le pré de Saint-Ours, dans le parc du Gran Paradiso. On imagine, ou on se remémore, une nature à grand air et grand spectacle. Avec l’équilibre qui est la marque de la géométrie des paysages alpins. On irait donc rien que pour ça ! La commune cependant réussit aussi le tour de force de concilier souvenir de l’industrie minière et tradition dentellière. Le fil et le fer. L’un et l’autre ont leur maison. Le vieux Veulla est tout sobre, resserré autour de l’église Saint-Ours, XVIIe siècle. Au-delà, l’espace disloque progressivement ce digne entre-soi. La perspective qu’on a, de la fontaine, sur le Grand Paradis est éloquente. Quant à la maison Gérard Dayné, elle restitue l’essence de l’architecture vernaculaire valdôtaine. Après cela, il ne restera plus qu’à acheter un mécoulin, le pain au raisin d’ici ! Et rejoindre Gimillan, hameau situé trois kilomètres au-dessus de Veulla, d’où on a un point de vue de folie sur le val.
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Etroubles
A équidistance du col du Grand-Saint-Bernard et d’Aoste, Etroubles est haut placé sur la liste des plus beaux villages d’Italie. Il faut dire que ses maisons blanches au toit d’ardoise, bien découplés, parfois parementées de bois sombre, ont beaucoup d’allure. Elles se tiennent au coude à coude autour d’une église, dont le clocher XVe et le corps XIXe suggèrent la longue histoire. La grand’ place quadrangulaire accueille marchés et manifestations culturelles ; elle est le point de ralliement des déambulations. Car le musée en plein air invite à la promenade : vingt-deux artistes contemporains ont laissé dans les ruelles un témoignage de leurs travaux. Promenade que l’on prolonge volontiers en randonnée dans la vallée, dont la richesse floristique fait un rendez-vous tant des botanistes que des amateurs candides de parfums suaves et de prairies multicolores.
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Fénis
Le long de la Doire Baltée, au centre du val d’Aoste, Fénis n’est pas sans vertu, ni sans quelques bâtiments de valeur, des maisons fortes notamment, mais le château qui s’y élève sur une courte motte accapare l’attention. C’est l’un des plus beaux d’une région qui en compte beaucoup. Un monument national italien. Château d’apparat et de prestige nobiliaire, il n’a sans doute jamais eu à soutenir d’assaut. Il apparaît aujourd’hui exemplaire de l’architecture militaire du XVe siècle, ne s’autorisant pour fantaisie que de rares baies à meneau. Les campagnes de restauration ont veillé à l’unité du style. Elles ont aussi préservé ce qui est sans doute le vrai trésor des lieux : les fresques de Jacquet Jaquerio, maître piémontais du gothique international. Vierge du manteau, crucifixion, mise au tombeau, maximes religieuses et profanes, dans les salles et les galeries de la cour, témoignent de la culture raffinée d’un monde qui s’acheminait résolument vers la Renaissance.
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Bard / Arnad
Inscrit aussi sur la liste des plus beaux villages d’Italie, Bard, au bord de la Doire Baltée, présente deux aspects. Le petit bourg d’abord, dans lequel s’enchevêtrent des maisons rescapées des XVe et XVIe siècles, soigneusement restaurées. C’est un bonheur pour le voyageur romanesque de marcher dans les ruelles, de se glisser sous les arcs qui les outrepassent, de s’arrêter sur les placettes. Le blanc et le gris dominent, qui tirent bénéfice l’un et l’autre de la qualité de la lumière. Les emboîtements de l’architecture s’apprécient du haut de la pente qui la porte. Le second aspect est l’énorme forteresse construite entre 1830 et 1838 au-dessus du bourg. Le puissant étagement de la citadelle, destinée avant tout à contrer une hypothétique attaque française, impressionne. L’histoire du val d’Aoste est riche d’inquiétudes dont témoignent toutes sortes d’édifices.
Pas loin, l’austère château de Verrès. Plus moelleux que moellon, dans la commune voisine d’Arnad, est une spécialité fameuse : le lard. Affiné un an à la saumure, puis au vin blanc, c’est une Denominazione di Origine Protetta et une merveille.
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Pontboset
La moyenne vallée de Champorcher a quelque chose de sauvage et d’altier. L’Ayasse coule là-dedans avec impétuosité. Il était casse-cou de le traverser. Aussi a-t-on, au XVIIe siècle, construit plusieurs ponts de pierre pour relier les différents hameaux de la commune à son centre. Aujourd’hui, ces ouvrages sont un bonheur à passer et à voir : parfaitement intégrés au paysage, d’un classicisme rustique et précis, souples, nets de dessin, connectant des chemins pavés, ils expriment un naturel qui est l’effet d’un art sûr. Dans l’Ayasse, on pêche la truite à la mouche ; les cadors de la discipline, y pratiquent le kayak. De Pontboset, un raide chemin muletier mène à Barmelle à travers les terrasses portant des vergers de cerisiers. La chapelle immaculée et les chalets du lieu-dit sont joliment dans leurs jus alpin. Le sentier des Gouffres réserve de belles émotions, et le santuario di Retempio, une vue magnifique sur le Cervin et le mont Rose.
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Donnas
Une autoroute des Titans antique, c’est ce que l’on pense en parcourant, à l’abord de Donnas, les deux cents mètres de la voie romaine des Gaules débouchant sous un grand arc de pierre. Taillée dans le roc, dallée, on peut y relever encore l’empreinte des roues de char. Les routes sont un motif essentiel de l’histoire de l’homme, on foule ici le document-même. Le paysage est marqué par la vigne cultivée en terrasses. Cépages : nebbiolo, neyret, freisa. Bouteilles : de beaux rouges longs et complexes. Statut : DOC. Le vieux bourg, établi au bord de la Doire Baltée, marque l’apogée de son importance économique par de beaux hôtels XVIe et XVIIe. Les rues étroites ont l’austérité qui convient au siècle de fer européen. Ce n’est pas un charme que l’on éprouve, mais un ordre. Et donc moins un attendrissement qu’une admiration. Le musée Laiterie de Tréby documente cent ans de crèmerie locale. Cependant, installée à la fin du XIXe siècle dans les murs de la confrérie charitable du Saint-Esprit, la laiterie en a conservé des fresques anciennes (dont une belle Cène), ce qui permet de spiritualiser le calcium et la visite.
Par
EMMANUEL BOUTAN
Photographie de couverture : Lorenzo Becatti