Insaisissable, la capitale russe est à la fois ancrée dans son histoire et tournée vers l’avenir. Grandiloquente, elle soigne le patrimoine soviétique tout en affirmant une vision urbaine et culturelle très contemporaine. Coup de projecteur sur une ville en pleine mutation.
"La ville qui ne dort jamais”… Combien de capitales revendiquent ce titre ? Au café Pouchkine, les serveurs en queue-de-pie, eux, ne se posent pas la question. Dans le décor baroque de l’ancienne pharmacie, ils servent porridge au potiron, bortsch et caviar sur blini, qu’il soit midi ou minuit. Et ce café emblématique, aux influences architecturales vénitiennes – comme d’ailleurs les murs du Kremlin –, ne fait pas exception. Moscou vit bien 24h/24, consciente qu’une journée ne suffi rait pas à explorer ses multiples visages. “Il y a le Moscou du XIXe aux airs de village, le Moscou de la moitié du XXe , cosmopolite et européen, le Moscou à l’architecture avant-gardiste, le Moscou staliniste, et le Moscou moderne des jeunes pionniers actuels, avec ses cafés et ses clubs. Rien ne s’est perdu en route, il reste des vestiges, même infimes, de chaque période”, commente le journaliste Jury Saprykin.
Eddie Gerald/LAIF-REA
Moscou passe à l’ouest
De fait, dans la plus grande ville d’Europe (vingt fois Paris), les époques se télescopent. Le quartier d’Arbat, l’un des plus riches historiquement, juxtapose l’architecture classique, constructiviste et stalinienne, mais abrite également Moskva-City, le centre d’affaires, et la seconde plus haute tour d’Europe du haut de laquelle on savoure une vodka bio en admirant l’immensité de cette “ville au 40 fois 40 églises”. Même impression à Kitaï-Gorod, le plus ancien quartier de la capitale, bâti au XVIIe siècle autour de la Place Rouge, ou celui de Zamoskvorechye (littéralement “de l’autre côté de la rivière Moskva”), qui collectionne lui aussi les lacis de ruelles, églises aux dômes rebondis, palais néoclassiques et tours de garde. Ses anciens monastères et maisons abandonnées se muent aujourd’hui en studios d’artistes et restaurants tendance. Transformation également dans le bastion de l’industrie soviétique, le quartier de Khamovniki, qui voit ses anciennes usines muter en start-ups et agences publicitaires.
Khlebzavod №9
De la même façon, à l’est de la ville, le site de production viticole désaffecté, VinZavod et son voisin ArtPlay, installé dans une ancienne fabrique de manomètres sont devenus en quelques années les nouveaux rendez-vous des hipsters. Derrière la brique rouge, on ne compte plus les galeries et cafés trendy. Encore industrielle au sud, résidentielle au nord, saturée au centre, Moscou regarde son avenir se dessiner à l’ouest. Rublyovo-Arkhangelskoye, concept urbain futuriste imaginé par l’archi star Zaha Hadid avant sa disparition en 2016, devrait d’ici quelques années loger près de 70 000 habitants, et accueillir aussi bureaux, hôtels et musées. Un écoquartier alimenté en énergies renouvelables, composé à 30 % de parcs et de jardins, entourant un lac de trente hectares, véritable modèle de “smart city”. Le projet n’aurait pas déplu à un certain Le Corbusier, qui au début des années 1930 proposa de raser la majorité des bâtiments historiques et de transformer Moscou en ville-jardin plantée de gratte-ciel.
Alexander Anufriev
Espaces verts et culturels
Le plan de rénovation lancé en 2010 par le maire Sergueï Sobianine entend redonner de l’air et des arbres à la métropole la plus peuplée d’Europe. L’Anneau des Jardins, grand périphérique qui encercle le centre, a été entièrement replanté, retrouvant ainsi son visage originel. Les quais de la Moskova devraient quant à eux être totalement réhabilités d’ici 2035. Entre ces berges et la Place Rouge, un parc de dix hectares, le Zaradié, composé de parcelles de toundra, de steppes miniatures et de grottes de glace en hiver, a poussé ces dernières années. Une alternative au délicat jardin de l’Ermitage situé en centre-ville, aux éternels Étangs du Patriarche (cadre aussi romantique au réel que dans le roman de Mikhaïl Boulgakov, Le Maître et Marguerite) et au Tsaritsyno, domaine d’été de la Grande Catherine, situé au sud de la ville.
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Autre symbole de verdoiement, l’immense parc Gorki, au centre du quartier de Zamoskvorechye. No man’s land entièrement réhabilité, il constitue désormais un lieu de vie essentiel aux Moscovites. En été, ils viennent y flâner à vélo, en roller, se rafraîchir face aux fontaines, et s’offrir une toile en plein air. En hiver, ils patinent sur une gigantesque aire glacée de 18 000 mètres carrés et peuvent même pratiquer le snowboard avant d’aller se réchauffer dans une exposition de l’un des temples de l’art contemporain russe et international : Le Garage. Créé en 2008 par l’ancien couple de collectionneurs Dasha Zhukova et Roman Abramovitch, Le Garage s’était d’abord installé en 2012 dans un pavillon temporaire conçu par le Japonais Shigeru Ban (prix Pritzker 2014). Depuis 2015, il a trouvé sa place définitive dans un ancien restaurant issu de l’ère moderniste soviétique, entièrement remodelé par le célèbre architecte Rem Koolhaas (également derrière les projets de transformation de la galerie Tretiakov, une institution de l’art classique ; et du musée de l’Ermitage à Saint-Pétersbourg). Aujourd’hui, Le Garage constitue un incontournable lieu de passage pour les artistes internationaux (Yayoi Kusama, Damián Ortega…) où s’expérimentent toutes les formes de l’art contemporain, des plus minimalistes aux plus monumentales.
Autre immanquable de la ville, le VDNH, fondé en 1939 au nord-est de la ville. Ce centre d’exposition doté de trente-sept pavillons à la gloire de l’Union soviétique, mémoire architecturale laissée à l’abandon pendant deux décennies, voit aujourd’hui ses bâtiments renaître un à un en espaces culturels.
Gulliver THEIS/Laif-REA
Octobre Rouge : le Soho moscovite
La boulimie artistique de la capitale aux 400 musées semble sans limite. D’autant que l’offre classique pléthorique se transforme. Le musée Pouchkine, l’une des deux plus grandes collections du pays, s’apprête ainsi à s’étendre sur tout le quartier entourant le Kremlin, devenant une cité muséale avec des salles connectées entre elles par des souterrains. En parallèle, des quartiers artistiques entiers sont sortis de terre. Sur l’île Bolotny, au centre de la ville, la zone d’Octobre Rouge – destinée à devenir piétonne - est devenue en une dizaine d’années le Soho moscovite. Les anciennes usines abritent désormais ateliers d’artistes, studios de design et galeries photo. Une centrale électrique de 1904, la GES2, accueille depuis fin 2018, sous une nef de 23 mètres de hauteur et dans ses jardins, un centre d’art contemporain – la fondation VAC - dispatché sur deux hectares. La révolution moderniste touche la capitale jusque dans l’assiette. Les restaurants farm-to-table fleurissent un peu partout, et les produits des anciennes républiques de l’URSS – du crabe royal du Kamtchatka aux fromages géorgiens - reprennent du galon. À la table du White Rabbit, le chef star Vladimir Mukhin sert un bortsch revisité. Collision de goûts et d’époques qui révèle un Moscou contemporain, à déguster jour et nuit.
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A voir, à faire
Institut Strelka
Né il y a plus de dix ans, cet institut de recherches symbolise le renouveau moscovite. Le cluster réunit programmes éducatifs (nouvelles technologies, design, urbanisme), lieux culturel (conférences, lectures, festivals) et festif réputés.
Bersenevskaya Naberezhnaya, 14/5
Khlebzavod N° 9
Cette ancienne usine à pain, répartie sur les cinq étages d’un bâtiment typique du constructivisme, héberge aujourd’hui l’un des pôles créatifs les plus importants de la ville : galeries, studios design, cafés.
Novodmitrovskaya Ulitsa, 1
Green Lovers
À la rudesse du climat hivernal, les Moscovites répondent par une passion des jardins. Au printemps, on flâne au Neskoutchni ou au Zariadié (près du Kremlin). En été, on respire à l’extérieur de la ville au domaine d’Arkhangelskoïe.
Le MMOMA
À la croisée des XXe et XXIe siècles, le Moscow Museum of Modern Art est dispatché en cinq lieux de la ville. À l’intérêt architectural de chaque entité s’ajoute la curiosité de découvrir la jeune garde russe cohabitant avec de grands maîtres.
Petrovka Ulitsa, 25
Alexander Anufriev
Les services Voyageurs du Monde à Moscou
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Photographie de couverture : CHRISTIAN KERBER/LAIF-REA