Depuis les explorateurs avides de découvertes et les conquistadores assoiffés de richesses, le Chili n’a cessé d’obséder les voyageurs. Du désert astringent de l’Atacama aux solitudes patagoniennes, le mince ruban collé au Pacifique déroule, comme un long poème, un eldorado de liberté.
Où commencer ?
C’est la question qui s’immisce lorsque, sur l’atlas, le doigt hésite sur cet étroit serpent qu’une double page ne suffit pas à contenir. L’étrange terre en forme d’arête de poisson s’étire sur 38 parallèles, se cognant la tête contre le Pérou pour se faufiler ensuite entre Andes et Pacifique et finir disloquée en milliers d’écailles face à l’Antarctique.
Karl Heinz Raach/LAIF-REA
Entre Nord et Sud, le cœur balance. Faut-il s’imaginer, tout là-haut, immergé dans un désert chauffé à blanc ou perdu, 4300 km plus bas, dans une solitude de glace ? Choisir entre histoires de mineurs et récits de baleiniers ? Apprivoiser le pays à travers la douceur de ses vallées viticoles ou plonger directement dans la rudesse tourmentée des canaux de Patagonie ? Avant d’affronter les espaces extrêmes et la panoplie des climats, avant de parler vins, poètes et nostalgie, avant de partir à la chasse d’un ciel toujours plus proche et d’un air toujours plus pur, pourquoi ne pas faire simple : commencer cette histoire d’amour par Santiago, à l’encontre de tous les clichés.
La magie d’un lever de lune
On est injuste avec Santiago. Certes, la capitale nichée au creux des Andes n’a pas fait des étincelles en matière d’urbanisme. Façonnée en dépit du bon sens, tant dans les années de plomb que dans la démocratie retrouvée, la ville en trompe l’œil s’obstine à construire des tours. Mais toute verticale et trépidante qu’elle soit, secouée par une circulation aléatoire, on sent pointer derrière son décor brouillé une irrépressible vitalité. Du centre-ville encore intact avec son parfum de vieille Europe au Mercado Central où grignoter un empañada sous une verrière à la Baltard en passant par le nouveau quartier du Bosque, les ravissants jardins de Vitacura ou la colline de Bellavista, la déambulation bohème mène en douceur vers la noche santiagueña, témoin indiscutable d’une nouvelle modernité. Admirer son premier lever de lune en sirotant un Pisco sour est une excellente entrée en matière au pays et le début une longue liste d’ébahissements…
Augusto Dominguez / CTS Turismo Chile
Quand les marins de la Mer D’Iroise larguaient les amarres pour affronter les colères des mers australes, ils se donnaient du courage en imaginant le port rieur qui les attendait après le Horn. Ils ne sont pas les seuls à avoir chanté le charme de cette baie et de ses 42 cerros (collines) posés en amphithéâtre au-dessus du Pacifique et plantés de maisons colorées. Un monde de petits quartiers tranquilles, de maisons des capitaines et de funiculaires avalant les pentes. L’un d’eux mène à " La Sebastiana", l’une des maisons de Pablo Neruda dont le souvenir demeure gravé dans chaque pavé des ruelles dégringolant vers le port et ses bars à marins, dans un paysage de fils électriques. « Neruda n’est pas chilien, c’est le Chili qui est nérudien ». Cette inscription laissée par un admirateur sur une autre maison du poète, à Isla Negra, résume bien l’état d’esprit de ce pays, tellement entier dans ses extrêmes.
Villes fantômes et pluie d’étoiles
Prendre un vol pour Calama, aux portes du désert d’Atacama, c’est partir vers l’un de ces extrêmes. C’est aussi passer de Neruda à Jack London dans ce « Far West » au sous-sol si riche qu’il fit la fortune du Chili au 19e siècle. L’ombre des mineurs plane encore dans ses villes fantômes. Seul le soleil de plomb conserve le souvenir, dans cet eldorado surchauffé, des familles des ingénieurs anglais qui s’obstinaient à dîner en smoking. Les scientifiques affirment que certaines zones de l’Atacama n’ont pas vu une goutte de pluie depuis plus de 80 ans ! Le désert enchâssé sur l’altiplano, veillé par des volcans en sentinelles, cache pourtant d’incroyables oasis nourries par les eaux de fonte des neiges andines, des lacs salins colorés de flamants roses, des plaines d’altitude où paissent les vigognes et où travaillent les huasos, les hommes de la terre chilienne. C’est aussi en Atacama que l’on peut goûter deux sensations extrêmes : l’étourdissement du silence le plus absolu et le vertige du firmament le plus pur, quand le ciel se déclare à lui-même une guerre des étoiles. Le Chili n’est de toute façon qu’une suite d’expériences initiatiques. La rencontre avec ses habitants n’est pas la moindre. Ce peuple volontaire et chaleureux, pour qui la magie et l’irrationnel font partie du quotidien, connaît encore la signification du mot « hospitalité ». Se faire offrir un maté dans la chaleur d’une cuisine bien astiquée, partager l’asado au hasard d’une hacienda, croiser un regard attentif dans un visage aux milliers de rides…
Jusqu’aux confins des terres
Les derniers Indiens de Patagonie disent que faire demi-tour et revenir en arrière porte malheur car le destin est toujours devant. Il ne reste donc, au retour d’Atacama vers Santiago, qu’à sauter dans un autre avion et à filer droit devant, comme un amant plein de hâte, vers ces noms qui ont ensemencé le rêve : Magellan, Drake, Le Maire, Darwin… Depuis Puerto Montt, dernier rempart de la civilisation, tous les moyens sont bons pour se lancer vers la dernière étape australe. Un bateau pour naviguer de fjord en fjord jusqu’aux glaciers d’un bleu surnaturel, en saluant au passage les pingouins empêtrés dans leur drôle de smoking ; une voiture sur un morceau de Carretera Austral pour se soûler de cette incroyable sensation de liberté à se laisser glisser à travers steppe et lacs laiteux, ou au départ de Punta Arenas jusqu’aux immenses champs de glace. Dans sa simplicité, la pancarte « Tierra de fuego » justifie à elle seule tout le voyage et provoque le grand frisson. On ne peut qu’être saisi, prêt au périple vers les ultimes confins de la planète, là où les brumes océaniques et les vents impitoyables s'acharnent sans répit. La Patagonie, c’est un état d'esprit, une musique de l'âme. Elle ne vous quittera plus.
LES BONNES RAISONS D’AIMER LE CHILI
Découvrir les excellents vins du nouveau monde dans les vallées viticoles qui entourent Santiago ; aller boire son Pisco Sour aucoucher du soleil dans la Vallée de la lune, près de San Pedro de Atacama ; regarder la lune se lever sur fond de cordillère des Andes depuis la terrasse de l’hôtel W de los Arcos à Santiago ; si les scientifiques ont choisi le centre du Chili pour implanter la plus grande concentration de télescopes au monde, c’est pour son ciel incomparablement pur, alors lever la tête et plonger dans la voie lactée ; séjourner à Puerto Natales : ses bateaux rapides permettent d’arriver en premier le matin et de marcher seul sur le glacier Balmaceda ; parcourir le parc national Torres del Paine, joyau de la Patagonie ; aller jusqu’à Puerto Williams, la ville la plus australe du continent américain, et voir les lumières d’ Ushuaia.