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Sa Majesté Carnaval à La Nouvelle-Orléans

Sa Majesté Carnaval à La Nouvelle-Orléans

Chaud devant ! Pour Mardi-Gras, en français s’il vous plait, la reine de la Louisiane, fief des légendes du coton, de l’esclavage, du Mississippi et de toutes les musiques à faire pleurer l’âme sur un accord de guitare, envoie balader ses soucis pour une semaine de pure folie. Présence exigée pour des semaines complètes de bombance, de défilés, de concerts et d’extravagances. Il sera bien temps, ensuite, de faire Carême.

 

Big easy, « la vie facile ». Tel est le slogan que tous les Américains collent à la Nouvelle-Orléans, héritière de cinq siècles d’histoire, coloniale, raciale, musicale. Elle y tient, revendiquant sa passion pour la fête, les journées de paresse aussi, les assiettes qui débordent de poulet au riz en sauce, les sets improvisés entre un saxo lumineux, une Fender Stratocaster hors d’âge et une big mama qui fait pleurer le blues, les amours aussi violentes qu’imprévues… C’est sa nature, voilà tout, celle qui invente « la vie facile ».

 

Histoire royale

Avant d’y atterrir, quelques mises au point s’imposent. La Nouvelle-Orléans est bien la ville la plus peuplée de Louisiane (environ 400 000 habitants, depuis le passage désastreux du cyclone Katrina et ses 2 000 morts en 2005, quoiqu’on ne sache plus très bien) mais elle n’est pas capitale de la Louisiane, un titre qui échoit à Baton Rouge. Par ailleurs, inutile de débarquer en ayant des « niou orlinss » plein la bouche, ici, comprend pas, le bel effort n’arrachera que des moues de compassion. Les gens du cru prononcent « Nolinss », voire « NoLa » pour New Orleans Louisiana.

Autre stéréotype tenace, la région serait fille de France. Hum hum. Malgré la dizaine de professeurs officiellement dépêchés ici (joli poste !) par notre Education nationale, la pratique du français demeure anecdotique et s’éteint peu à peu. Restent les témoignages poignants d’une saga commencée en 1682 lorsque René-Robert Cavelier de La Salle rattache cette terre au royaume et la baptise Louisiane, histoire que Louis XIV en soit fier. Elle se poursuit en 1718 quand Jean-Baptiste Le Moyne, Sieur de Bienville construit pour les colons français un fortin en bord de fleuve et le nomme en honneur au frérot du précédent, Philippe d’Orléans.

Char du Carnaval de la Nouvelle Orléans

Photoservice/GettyImages

 

Pour une poignée de dollars

Passons sur quelques siècles tourmentés, reflet des bisbilles ordinaires entre puissances coloniales, la ville prospère à partir de son quartier central désormais emblématique, le Vieux Carré. Son nom français lui reste. Devant les splendides maisons coloniales à trois niveaux et balcons de fer forgé, se croisent les rues Bourbon (la dynastie royale, pas la boisson), Chartres, Ursulines, Dauphine, etc. Un vrai bonheur made in France, même si, patatras, en 1803, Napoléon à court de budget pour financer ses campagnes, vend la Louisiane aux Etats-Unis pour une poignée de dollars, mettant ainsi fin au rêve d’un immense empire français aux Amériques, courant du Canada jusqu’au golfe du Mexique.

Heureusement, les temps modernes tiennent le fil du souvenir et depuis 2018, La Nouvelle-Orléans n’est pas peu fière de son jumelage avec… Orléans, 45000-France, ce qui légitime à jamais les trois fleurs de lys, or sur fond bleu roi, de son drapeau.

Vieux quartier de la Nouvelle Orléans

Design Pics/GettyImages

 

Au moins 1,5 million de visiteurs

De ces sources invariablement placées sous le signe d’une nouvelle vie, de la prospérité, du soleil et de la bagatelle, est née une société jamais en retard d’une fête. On note que dès 1699, le bon Cavelier de La Salle avait nommé un bout de côte de la région Pointe de Mardi Gras. Surtout, ce sont les esclaves des plantations de café et de coton qui portent à bout de transes l’envie de se libérer des chaînes le temps d’une semaine de parfaite liberté. L’abolition de la traite des Noirs puis celle de l’esclavage (1848) scellent l’affaire : à partir de 1857, Mardi Gras et son carnaval font officiellement partie du calendrier louisianais.

Désormais, l’affaire est une institution nationale, sorte de teuf à l’échelle d’une ville à laquelle il convient de participer au moins une fois dans sa vie, beaucoup plus souvent quand on aime les transes collectives. Car ici, la fête est à l’échelle américaine, géante. Chaque année la ville accueille minimum 1 500 000 visiteurs qui applaudissent quelque 4 500 participants qui défilent un peu à la manière dont on le fait à Rio. Sauf qu’ici, tout est gratuit et que l’osmose est totale entre acteurs et spectateurs... Indéniablement l'un des (voire LE) plus beaux carnavals du monde.

Fanfare à Mardi Gras

Photoservice/GettyImages

 

Vert, mauve et or

Destination le Vieux Carré, ainsi que sur l’avenue Saint Charles et Canal street. C’est là que défilent au ralenti une bonne soixantaine d’énormes chars bariolés. Chacun son thème, il varie chaque année : l’histoire du bayou, la conquête spatiale, le jazz, les femmes, les indiens, les rois de la savane… L’imagination est libre, la réalisation délirante. Elle est signée par une équipe, ont dit krewe, fort d’une centaine de membres. Certains dansent en costumes de circonstance, d’autre soufflent dans le trombone ou frappent la grosse caisse pendant que les derniers jettent gâteaux, colliers de perles multicolores et doubloons, ces fameuses fausses pièces qui racontent la richesse dont on a toujours rêvé.

Et arrive le char suivant, autre délire, même mise en scène flamboyante, sono assourdissante, pétards a gogo, paillettes sans compter, pièces et perles par millions, bouilles fendues pour tout le monde ! Apothéose lors du passage du char du roi Rex, souverain replet saluant ses sujets, invariable hommage aux trois couleurs de la célébration, le vert pour la foi, le mauve symbolisant la justice et l’or, signe de pouvoir. Il disparaîtra le mercredi des Cendres dans le grand brasier qui conclura les festivités.

Déguisements à la Nouvelle Orléans$

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De Louis Armstrong à Dee Dee Bridgewater

Dans cette folle ambiance, il va sans dire que le déguisement est de bon ton et chacun y va de sa folie. Non, ici en terre durablement démocrate, le masque de Trump et la mèche blonde ne font pas recette. En revanche, aucun souci avec le chignon rose, le loup de dentelle et les plateforme jaune fluo. Ce soir, la fête continue sur l’une des scènes du Vieux Carré. Une centaine au moins dont l’immortel Preservation Hall où des papis portent haut le flambeau jazz et soul de la Nouvelle-Orléans. Inutile de discuter, la musique, la vraie, est née ici il y a plus de cent ans. Les héros du coin s’appellent Louis Armstrong et Sydney Bechet, avant que débarquent Mahalia Jackson, Luis Prima ou Dr John, Wynton Marsalis, Harry Connick Junior, Fats Domino et la tribu des Neville Brothers. Sans oublier les fans absolus de la ville que sont Irving Mayfield et Dee Dee Bridgewater. Alors, entre deux parades, prévoir concerts improvisés sur un bout d’estrade au fond d’un bouge à Budweiser, autant que shows grandioses à l’affiche du Superdome, à moins d’opter pour la messe gospel en l’église St. Augustine (10 heures), gardienne de la statue de l’esclave inconnu, chaînes aux chevilles.

Cors au Mardi Gras

Photoservice/GettyImages

 

Gloire à Jeanne

Prévoir encore une croisière à bord d’un bateau à aubes sur le Mississippi ainsi qu’une visite de plantation, une bonne dizaine ouvrent leurs portes à deux pas de la ville, avant de conclure dans les allées du charmant marché qui jouxte le Vieux Carré au bout de Decatur Street. Fausses lunettes de marque, tee-shirts, maillots des Pelicans (basket) et des Saints (foot), peintures naïves de Haïti, approximatives, artisanat du Mexique, industriel… Epatant pour les cadeaux du retour. Surtout, remarquer la statue équestre de notre Jeanne d’Arc, copie de celle qui garde la Place des Pyramides à Paris. Elle est posée à l’entrée du marché sur la… Place de France. La pucelle d’Orléans fait la fière. Allez, avouons que ce clin d’œil à notre mémoire fait sacrément plaisir. Cela mérite bien un selfie.

 

 

Par

JEAN-PIERRE CHANIAL

 

Photographie de couverture : Photoservice/GettyImages