L’île d’Hithadhoo, dans l’atoll d’Addu – le plus méridional de l’archipel des Maldives –, accueillera, du 28 au 30 avril 2023, la deuxième édition du Coral Festival. Une lucarne rare sur la culture maldivienne et la situation d’un pays en première ligne face au réchauffement climatique.
Les pieds dans l’eau… L’appréciation de l’expression est toute relative. Pour les voyageurs qui se posent à Malé, capitale des Maldives, il s’agit généralement de rejoindre sans attendre l’une des 1200 îles qui composent ce royaume de paradis et de farniente. Aux yeux de l’ex-président Mohamed Nasheed, il s’agit en revanche d’un combat mené depuis plus de quinze ans. À l’époque, lorsqu’il remporte en 2008 les premiers suffrages démocratiques d’un pays mené d’une main de fer depuis trois décennies, le quadragénaire mérite de savourer l’aboutissement d’une longue lutte semée d’épisodes d’emprisonnement et de torture. Il découvre pourtant que son nouvel adversaire est un dictateur d’une autre ampleur. Atteindre le sommet d’une nation dont 80 % du territoire présente une altitude inférieure à un mètre – la plus basse au monde – représente une confrontation brutale et immédiate au réchauffement climatique.
The Island President
Conscient que l’augmentation constante des gaz à effet de serre et l’élévation du niveau des océans qui en découle menacent directement l’existence des 26 atolls du pays, le président Nasheed sonne l’alerte devant ses homologues internationaux alors peu réceptifs au problème. En 2009, il jette un pavé dans le lagon en organisant un conseil ministériel sous l’eau. L’image des représentants de l’État signant l’ordre du jour, équipés de masques et bouteilles, fait le tour du monde avant de retomber dans les profondeurs. Sorti en 2011, un documentaire réalisé par l’Américain Jon Shenk retrace le combat pour le climat de celui qu’il surnomme “The Island President”. La caméra suit Mohamed Nasheed jusque dans les coulisses de la COP15 de 2009, à Copenhague, à l’issue de laquelle un accord international sur la réduction des émissions de carbone est arraché in extremis, accompagné de désillusions. Pour l’ex-président qui ambitionnait alors la neutralité carbone de son pays à l’horizon 2020 (un objectif rempli à ce jour par seulement trois éclaireurs : le Bhoutan, le Suriname et le Panama), la course s’avère semée d’embûches. Débarqué par un coup d’État en 2012, condamné à treize ans de prison en 2015 pour des accusations de terrorisme (dénoncées par plusieurs organisations des droits de l’homme), exilé en Grande-Bretagne jusqu’en 2018, victime d’une tentative d’assassinat en mai 2021, l’homme affiche pourtant la même détermination à sauver l’archipel maldivien du naufrage.
Maldives Coral Institute / DR
Sauver le corail pour sauver les Maldives
“Je refuse de dire aux Maldiviens que notre pays est fini et que leurs enfants vivront comme des réfugiés climatiques. En tant que nation, nous rejetons ce destin. L’heure est à l’action radicale, pas au désespoir”, martèle le président du Parlement. La menace s’accélère pourtant : en 2009, les climatologues estimaient déjà qu’un taux de dioxyde de carbone supérieur à 350 ppm (parts par million) représentait un danger direct pour l’archipel. Les chiffres atteignent aujourd’hui 420 ppm et la quasi-totalité des îles, touchées par l’érosion et les inondations, pourraient être inhabitables d’ici trente ans. Les autorités maldiviennes cherchent donc les solutions qui permettront aux 500 000 habitants et au 1,7 million de touristes, de sauver leur paradis. Le pilotage d’une ville flottante composée de cinq mille logements est en cours. Largement pratiquée aux Maldives, la technique de “land reclamation”, consistant à élargir les îles et à en créer artificiellement de nouvelles par des dragages colossaux, s’avère en réalité catastrophique pour un récif corallien déjà sévèrement touché par des épisodes de blanchissement de plus en plus rapprochés. Ce vaste écosystème constitue pourtant la seule barrière naturelle des atolls.
Asad photo Maldives / Pexels
Un récif résilient
Préserver, mais dorénavant également restaurer ce biotope, représente donc la nouvelle bataille que Mohamed Nasheed mène sur plusieurs fronts. Les premiers résultats obtenus par le Maldives Coral Institute qu’il a fondé en 2019 en s’entourant d’une équipe réunissant biologistes marins, activistes et communicants, ravivent les coraux et l’espoir. Si les recherches soulignent l’ampleur des dégâts, mais aussi les faiblesses des projets de restauration existant à l’échelle nationale et internationale, l’action commence à porter ses fruits. Initiée en 2021, une mission menée sur l’île de Fulhadhoo, dans l’atoll de Goidhoo, au nord de Malé, a mis en lumière la capacité de certaines espèces de coraux endémiques à résister aux hausses des températures. En les réimplantant sur les zones les plus fragiles, les biologistes utilisent cette résilience naturelle qui permet une restauration étonnamment rapide du récif. La technique, simple à mettre en œuvre, pourrait être développée sur d’autres atolls en impliquant, comme à Fulhadhoo, les communautés locales vivant majoritairement de la pêche et du tourisme, qui sont en première ligne face au réchauffement climatique. Le Maldives Coral Institute œuvre ainsi pour que la sauvegarde du récif soit au programme dans les écoles et les universités du pays. La prise de conscience et la participation des Maldiviens, comme de toutes celles et ceux qui voyagent dans l’archipel, constituant bien la seconde clé de la survie des îles.
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Workshops et snorkeling
C’est ainsi que pour sa deuxième édition, lancée le 28 avril 2023, le Coral Festival convoquera trois jours durant des biologistes, de grands spécialistes des océans (dont Callum Roberts, professeur de l’université d’York, dont les travaux alimentent le plus vaste projet de protection de l’Atlantique Nord-Est régi par la Convention OSPAR) et également des ONG œuvrant dans la protection de la faune marine. Ensemble, ils animeront conférences et présentations de leurs opérations en cours. La petite île d’Hithadhoo, parmi la trentaine qui compose l’atoll d’Addu – le plus méridional des Maldives, classé réserve de la biosphère par l’Unesco en 2020 –, a été désignée pour accueillir l’événement. Un choix qui ne doit rien au hasard dans une zone en pleine expansion touristique qui espère un développement plus respectueux de son environnement fragile. Entre un débat sur la protection des récifs, un workshop sur le financement de programmes de restauration de la mangrove, et la présentation de la première banque de coraux destinée à parer l’évolution climatique, les participants, petits et grands, sont invités à chausser les palmes dans le sillage d’un spécialiste des raies Manta ou des tortues marines. Ils pourront aussi se laisser bercer par les chants traditionnels de l’artiste Zara ou encore apprendre la recette du Addu kukulu reehaa, un curry de poulet typique de l’île, auprès d’une habitante. Un brin de culture locale, partagé sur un grain de corail qui entend bien faire résonner haut et fort ses solutions face à un défi planétaire.
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Voyageurs du Monde aux Maldives
Passionnés d’îles et de plongée, les spécialistes Maldives de Voyageurs du Monde tiennent à insuffler une vision différente de la carte postale. En sélectionnant des adresses respectueuses de l’environnement, mais aussi en incitant à participer à des événements comme le Coral Festival, qui met en avant une réalité cruciale pour l’avenir de l’archipel, sa population et sa culture.
Par
BAPTISTE BRIAND
Photographie de couverture : Francesco Ungaro / Pexels