Passionnée d’Inde, Isabelle Busson enseigne le yoga depuis vingt ans. À travers ses rencontres et ses lectures, elle a également exploré une philosophie infiniment profonde et sur laquelle elle nous livre ici un éclairage.
Quelle est l’importance de l’hindouisme dans la société indienne actuelle ?
Tout simplement fondamentale. Malgré le boom économique, l’émancipation des mentalités, l’Inde reste très ancrée dans ses croyances et ses traditions. Environ 80% de la population est pratiquante, quels que soient le statut et l’environnement social. Ainsi, vous verrez prier aussi bien les sâdhus que les hommes d’affaires en costume-cravate. Cela a toujours été vrai et lors de périodes troubles comme celle que nous vivons actuellement, l’ordre divin reprend de la vigueur.
Quels sont les fondements de cette religion ?
D’abord il faut rappeler que bien qu’étant la troisième religion mondiale par le nombre de ses fidèles, l’hindouisme, contrairement au christianisme et à l’islam, n’a ni fondateur, ni église ni dieu unique. Le terme rassemble l’ensemble des courants religieux développés en Inde. Désignée comme Sanâtana-Dharma, « la religion éternelle » est aussi la plus ancienne, ses origines remontant à 2 500 ans avant notre ère. Les principes de l’hindouisme sont guidés par les Veda, des textes sacrés, composés sur près d’un millénaire (1 400 à 500 avant J.-C.), qui transcrivent la Sruti - vérités essentielles insufflées par Brahman aux sages - qui jusqu’alors se transmettaient oralement de génération en génération.
Quelle est la place du yoga dans l’hindouisme ?
Le Yoga Sutra est l’un des six points de vue (Sat-Darshana) de la philosophie indienne. Les Darshana offrent ainsi différentes interprétations — celle du yoga passant par la maîtrise physiologique et psychologique — des écritures saintes (Smriti) apparues après les Veda. Rédigées en sanskrit moderne, donc plus accessibles que la littérature Sruti (essentiellement réservée aux brahmans) ces mémoires ont permis à la culture hindouiste d’être abordée par l’ensemble de la société indienne et de se diffuser au-delà des problématiques de sexe, de castes et d’analphabétisme. Parmi ces écritures on trouve notamment les Purâna, enseignements destinés à tous les exclus de la loi brahmanique ainsi que les deux grandes épopées que sont le Râmâyana et Mahâbhârata.
Quel est le cœur de ces deux épopées ?
Le Râmâyana comme le Mahâbhârata sont deux œuvres centrales de l’hindouisme. Rédigées en shloka (strophes de 4 vers octosyllabiques) elles sont basées sur la notion d’avatar (l’incarnation d’un dieu en homme). Ainsi Vishnou apparaît-il sur terre dans la peau de Râma, héros du Râmâyana et de Krishna dans le Mahâbhârata. La première de ces grandes aventures mythologiques est romantique : elle retrace le parcours de Râma, la conquête de sa bien aimée Sita, et le combat livré par Râma et ses alliés pour délivrer cette dernière prisonnière d’un démon. Le Mahâbhârata, quant à lui, est l’un des plus grands poèmes de l’humanité réunissant récits védiques, mythiques et cosmogoniques. Il retrace une guerre fratricide entre deux clans d’une même famille. Son enseignement est une leçon sur la vertu, le courage et le sens du devoir d’un roi. Dans les deux cas, il s’agit du combat du mal par le bien, d’un hymne à la dévotion, au respect de la loi religieuse et morale et à l’ordre du monde.
Comment ces notions perdurent-elles dans l’Inde actuelle ?
Parce que ces notions de valeurs morales et de conduite de vie sont fondamentales dans l’hindouisme, elles continuent à guider la société indienne malgré les perversions du monde moderne que nous connaissons. Aussi, ces textes sont-ils encore enseignés dans les écoles. Il est commun pour un Hindou de connaître par cœur des strophes entières de la Bhagavad-Gîtâ, le cœur du Mahâbhârata. Ces épopées sont racontées en berceuses, elles sont en permanence contées, jouées, dansées dans toute l’Inde et au-delà, en Asie du Sud Est. Dans le Kerala notamment à travers le kathakali, un théâtre dansé, les représentations sont phénoménales et durent parfois plusieurs jours. Un spectacle vivant à ne pas manquer si l’on veut mieux comprendre l’âme de l’Inde.
Quelques livres
Le Mahabharata, Jean Claude Carrière, Pocket
L’une des pièces maîtresses de la littérature sanskrite, un univers de mythes et de contes sur l’humanité, l’arrière-plan de toute la philosophie hindouiste, revisitée en un roman limpide.
Textes épiques sanskrits, Romain Garnier, Ophrys
Un recueil d’extraits du Mahâbhârata et du Râmâyana, dans leur version originale annotée. Belle approche guidée de la grammaire, la mythologie et la poésie de ces textes fondamentaux
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Le Ramayana conté selon la tradition orale, Serge Demetrian, Albin Michel
L’autre grande épopée de l’Inde racontée selon la tradition des conteurs de l’Inde du Sud.
La Bhagavad Gita, Alain Porte, Arlea
Une traduction fidèle du cœur du Mahâbhârata, ce « Chant du Bienheureux » est une véritable initiation à la pensée indienne
Les enquêtes du brahmane doc, Sarah Dars, Picquier
Roman policier ludique, saupoudré d’humour qui entraîne le lecteur sur les talons de Doc à travers une Inde plurielle, tumultueuse et bien réelle.
Quelques mots
BRAHMAN : l’omniprésent, l’indescriptible, l’absolu, l’éternel. Brahman constitue l’essence spirituelle de l’univers.
BRAHMA : est le dieu concepteur, le premier membre de la Trimûrti, trinité des principales divinités hindoues formée de Brahma, Vishnou (le protecteur) et Shiva (le révélateur).
PURUSHARTHA : en parallèle aux « 4 périodes de la vie », l’hindouisme distingue ces « 4 buts de l’homme » indispensables à son éveil. Le premier Kâma, le désir (notamment charnel) est la source du cycle de vie. Artha, la prospérité (matérielle, professionnelle) induit une participation à la société par le patrimoine. Dharma, le devoir moral doit diriger les 3 autres buts. Enfin vient Moksha, la délivrance des cycles de réincarnation (Sâmsâra).
SRUTI : la Sruti correspond aux vérités essentielles d’origine divine, perçues intuitivement par les Rishis (sages) et transmises oralement de maîtres à disciples pendant des générations avant d’être portée à l’écrit (Veda et Upanishads).
SMRITI : la Smriti (mémoire) désigne les textes post-védiques développant la connaissance des Veda, la tradition des ancêtres. Ils rassemblent les Dharmashâstra : codes civiques, politiques, religieux, moraux, métaphysiques (lois de Manu), les Purâna (livres de mythologie et légendes), les Agama (textes théologiques) les Darshana (points de vue philosophiques) et les deux grandes épopées (Râmâyana et Mahâbhârata). Rédigée en sanskrit classique cette littérature a contribué à populariser la pensée hindoue.
UPANISHADS : du sanskrit upa déplacement physique in : mouvement vers le bas et shad : s’asseoir. Littéralement « venir s’asseoir respectueusement au pied du maître pour écouter son enseignement » les Upanishads majeurs constituent les conclusions respectives de chacun des quatre Veda. Il s’agit de codes religieux, spéculations philosophiques, célébrations et poèmes exaltant certaines doctrines et traitant de la nature, de l’homme et de l’univers.
VEDA : dérivé de la racine sanskrite vid (connaître, savoir) le mot signifie « ce qui est révélé ». Les Veda sont les plus anciennes écritures sacrées de l’hindouisme (décomposés en 4 grandes parties). Ce sont des hymnes, transcrivant les vérités divines de la Sruti.