France

24 heures à Paris

24 heures à Paris

Faut-il présenter Paris ? Normalement, non. Néanmoins, c’est toujours un privilège de le faire. Le plaisir d’introduire une grande dame. D’autant que, s’il s’agit de ne passer que vingt-quatre heures entre rive gauche et rive droite, un peu d’organisation s’impose. Il faudra tant sacrifier à cette journée. Tant d’autres journées possibles, s’entend. La première passée, on concevra les suivantes : le voyage à Paris ne saurait ne durer qu’un jour. Voyons donc plutôt ce à quoi pourrait ressembler un premier jour dans la Ville Lumière.

7

heures

Il est cinq heures, Paris s’éveille, Paris s’éveille. On ne se lèvera peut-être pas si tôt pour rejoindre le café à l’angle de la place. On attendra un peu sous son drap, en écoutant les bruits vagues de la rue. Néanmoins, le connaisseur sait que l’heure matinale est propice à qui aime Paris et veut l’avoir à soi. C’est Paris-village qui s’ébroue, avec autour des comptoirs une familiarité cosmopolite qui n’appartient qu’à lui. Le petit noir est officiellement revigorant car mazouteux, mais le croissant fait passer l’amertume. Les chocs sur le percolateur, les cris-commandes, la définition du plat du jour réveillent le zinc. Dehors, la nuit se dilue lentement sur la vacance fluide des petites heures. Que les plus matinaux travailleurs commencent à animer, qui de son vélo, qui de son balai, qui de son diable. Plus tard – car on s’est attardé – ce sont les parents qui tirent en longtail leurs enfants vers l’école et les employés qui vont véloces. Allez, encore un et on s’y met.

Table dans un restaurant dans Paris

Jackie Cole

9

heures

Passer en se promenant le temps qui sépare de l’heure à laquelle les musées seront ouverts permet de s’ajuster aux perspectives que le baron Haussmann a tracées, ou à celle que la Seine a dessinée bien avant lui. Îles de la Cité et Saint-Louis sont pour servir aux estimations d’échelle. De la flèche de Notre-Dame phénix à la tour Eiffel et Chaillot, un immense patrimoine architectural encadre l’ondulation puissante du fleuve. Les bateaux-mouches qui, pour être touristiques, n’en sont pas moins poétiques, invitent au panorama (et aux slaloms des zodiacs de la brigade des sapeurs-pompiers). On fait toujours un peu la queue pour accéder, au Louvre, au code d’Hammurabi, à la Joconde ou au merveilleux Bénédicité de Chardin, 1740. Pourtant, la patience est une vertu peu parisienne. À Orsay, on réalise que les impressionnistes étaient les peintres de la lumière du monde, ils n’ont pas juste fourni des motifs de carte postale ou de magnet. Et puis, il y a La liseuse, d’Henri Fantin-Latour, 1861. Et puis, de Courbet, l’Origine. Et tant d’autres. Ces musées sont des colosses et ils sont si nombreux. Carnavalet, par exemple, qui parle de Paris. Celui du Service de santé des armées, au Val-de-Grâce, complète ce qui est documenté aux Invalides. On n’y attend pas.

Musée Giacometti

Kate Devine

12

heures

L’art creuse et réclame qu’on ait une table. Ne vous y mettez pas trop tard, les candidats au déjeuner sont légion. Soyez de ceux qui sont déjà installés lorsque les autres arrivent. S’il n’est pas sorcier de trouver un restaurant à Paris, il est difficile de choisir. Les brasseries de la gare du Nord ou de Saint-Lazare, de Montparnasse, de Saint-Germain-des-Prés entretiennent la légende, et leurs cuisines se sont reprises. Partout, néo-traditionnel et bistronomique ont le vent en poupe. Ainsi que tout ce qui accommode du végétal. Le marché des Enfants-Rouges ou la rue Mouffetard, celle de Belleville ont leurs adeptes. Rue Sainte-Anne, les restaurants coréens concurrencent les japonais, après que ceux-ci ont remplacé les tunisiens. La roue tourne. Il y a les grandes maisons et les petites adresses que l’on garde pour soi – jusqu’à ce qu’on s’aperçoive qu’elles sont déjà sur les sites de rencontres gastronomiques. Il y a surtout l’établissement que l’on trouve par hasard et qui va comme une manique à la faim du moment, même s’il n’est pas adoubé par les critiques. Celui dont on sort content.

Scène de vie dans la rue à Paris

Alixe Lay

14

heures

Cette heureuse conjonction ayant eu lieu, un parc s’impose pour une heure de frais et de tumulte apaisé. Et Paris n’en manque pas. Le jardin du Luxembourg, 6e arrondissement, fut créé par Marie de Médicis ; le parc des Buttes-Chaumont, dans le 19e, est du XIXe, inspiré des jardins anglais ; le jardin du Palais Royal, 1er, avec ses arcades aux commerces alvéolaires, est une oasis de paix bien taillée ; le parc Montsouris, 14e, voit les étudiants de la Cité-Universitaire jogger grégaire ; dans les allées du Jardin des plantes, 5e, passent, avec les enfants, les fantômes naturalistes de Buffon, Lamarck ou Milne-Edwards ; le Champ de Mars, 7e, s’étend entre l’École militaire et la tour Eiffel, il en tire un prestige certain. Néanmoins, les Tuileries demeurent, situation centrale et prolongement du Louvre, le parc que Paris offre non seulement aux Parisiens, mais à tous les voyageurs de passage. Une fois reposé et dispo, on peut quitter l’ombre des arbres ou le bord du grand bassin pour aller admirer les Nymphéas de Monet, que Clémenceau a fait installer à l’Orangerie. Puis, aborder prudemment le tourbillon de la Concorde avant, passant devant le Grand et le Petit Palais, de s’engager dans les Champs-Elysées.

Parc dans Paris

Jackie Cole

16

heures

Peut-être est-il temps ensuite de changer de quartier et de s’orienter vers Montmartre, pour recueillir le souvenir d’un Paris populaire, crapule et artistique, dans la grande ombre du Sacré-Cœur. Les monuments sont d’un autre tonneau, ils parlent du petit peuple et de la bohème. Néanmoins, la complainte rappelle que les escaliers de la Butte sont durs aux miséreux, même si les ailes des moulins protègent les amoureux. Des ailes, il n’en reste plus beaucoup, même celles du Moulin Rouge ont chu. Céline l’avait, en somme, prophétisé dans Normance. Montmartre n’est plus ce qu’il était ; c’est heureux, la légende peut prendre le relais d’une réalité qui fut difficile. Et les gens s’installer plus confortablement. L’esprit, quant à lui, souffle où il veut et sait ventiler d’autres lieux créateurs. Mais peut-être êtes-vous resté en bas. Pour les grands magasins et les boutiques. Disons, rue des Francs-Bourgeois, rue du Faubourg-Saint-Honoré, boulevard Haussmann, rue de Babylone. Ou boulevard de Rochechouart ; pour l’architecture alors, puisqu’aujourd’hui Tati n’est plus. Quoi qu’il en soit, la boutique est à Paris autant qu’à Londres l’un des beaux-arts. La mode ? Bien sûr la mode, elle est partout. La jeune garde des créateurs n’en a pas fini avec la ville de Coco Chanel et Jean-Paul Gaultier.

Toits de Paris

Kate Devine

20

heures

Si l’on va à la Comédie française, à l’opéra Garnier ou à l’Olympia, on soupera après le spectacle. C’est ainsi que l’on fait. Et c’est l’un des plaisirs de Paris de vivre tard. Ou tôt. À ce propos, tout le monde regrette qu’il y ait désormais une serrure au Pied de cochon, qui n’en eut longtemps aucune. Les noctambules pouvaient toujours pousser la porte pour une gratinée. Vieilles histoire, que d’autres vont remplacer. On peut aussi prendre un repas quelque part et sortir ensuite. Partout, on trouve de quoi se restaurer dignement. À Ménilmontant ou quai de l’Hôtel de Ville ; dans le Marais ou à la Muette ; autour de Saint-Sulpice ou à Port-Royal. Et dans tous les styles. Il faut relire Grimod de La Reynière. Après, eh bien, la nuit s’offre à vous. Ce peut-être d’abord un concert à Pleyel ou à l’auditorium de la maison de la Radio. Un tour sur les Grands Boulevards, car y a tant de choses, tant de choses, tant de choses à voir ! À la Maroquinerie, à l’International ou au Supersonic, on est rock sans mollir. Et plus si affinités. Au Balajo, rue de Lappe, la valse musette a cédé la place au kizomba. Ces dernières années, il était de bon ton de déplorer la fin de la nuit parisienne. Ce n’était plus comme avant. Certains avait vieilli, c’est tout. Et la relève n’avait pas encore levé la voile nocturne. C’est maintenant chose faite et la nuit scintille et monte en température à la Machine, à la Station, au Petit Bain, Pamela, etc.

Bar néon dans Paris

Faustine Poidevin

 

Quelle heure est-il ?

À l’heure où l’on sort, un peu ivre au moins de fatigue, on prend le coup de frais du petit matin. Et on cherche rapidement un Bolt sur son smartphone. Pour être reconduit à son hôtel. Ou simplement changer de quartier. On clopine éventuellement vers le bistrot qui a encore une paupière fermée, mais déjà un œil ouvert. Peu importe qu’il soit l’heure de se coucher ou de se lever, le percolateur sonne le commencement d’un nouveau jour à Paris.

 

Par

EMMANUEL BOUTAN

 

Photographie de couverture : Faustine Poidevin