Dans cet état insulaire parmi les plus sauvages d’Australie, les bush shacks, cabanes minimalistes développées dans les années 1950 qui offraient de vivre au plus proche des éléments, trouvent un nouvel écho chez de jeunes architectes sensibles à l’appel de la nature.
La première terre à l’horizon est à plus de 2 500 kilomètres : l’Antarctique. Mais cette cabane perchée trois cents mètres au dessus de la mer de Tasmanie, perdue dans le bush de la péninsule de Cape Pillar, offre aux visiteurs de passage bien plus qu’une belle vue. Un abri où passer la nuit après quelques heures de marche dans ce parc naturel géant qu’est la Tasmanie. Un territoire “ultra wild” qui invite forcément à se fondre dans le décor. C’est l’une des raisons qui dans les années 1950 a poussé les Tassies à créer leurs bush shacks, des cabanes sobres, jamais très loin d’une vue superbe, sur une baie ou sur la mer, et réalisées essentiellement en bois.
Derrière l’idée de vivre au plus proche des éléments se cache également l’envie d’échapper à la civilisation. L’avènement des bush shacks dans la culture tasmanienne est effectivement lié à un mouvement visant à contrecarrer l’establishment britannique et sa rigidité. “Ces communautés de cabanes étaient des endroits où les gens pouvaient s’échapper. Leur valeur ne résidait pas dans leur construction insignifiante, mais dans ce qu’elles représentaient socialement”, écrit Paddy Dorney, professeur d’architecture à l’université de Tasmanie et auteur d’une thèse sur la symbolique des cabanes. Quelques mètres carrés d’une inestimable liberté. Au fil des années, la transformation sociale de la Tasmanie fragilise l’existence des bush shacks. Les mères de famille, qui jusque-là veillaient au bon entretien des cabanes, se mettent à travailler, le gouvernement impose des règles d’urbanisme plus strictes, et finalement l’esprit communautaire de ces abris sans prétention disparaît au profit de grandes maisons individuelles. Les années 1980 sonnent le glas de la cabane tassie.
Comme une oeuvre de land art
Quarante ans plus tard, dans un Hobart de plus en plus connecté à la modernité, l’appel du “sauvage” retentit à nouveau. De jeunes ateliers d’architectes comme Taylor and Hinds se penchent sur le sujet et réinterprètent le bush shack dans une approche à la fois moderne et responsable. L’intégration au lieu et à son histoire reste l’une des clés de voûte de ces nouveaux cabanons, à l’instar du spectaculaire Krakani Lumi (lieu de repos), situé au coeur du parc national du mont William, un site régi par le Conseil des terres aborigènes de Tasmanie. Inspiré par les anciens abris aborigènes en demi-dômes, ce refuge de bois brûlé d’allure primale figure une oeuvre de land art qui non seulement se fond à l’environnement exceptionnel, mais y apporte une autre dimension.
Même recherche d’intimité minimaliste sur les rives de la Denison Rivulet. Cette fois encore, les architectes ont pris soin de composer avec les paysages pour y implanter une série de cabanes cubiques bardées de bois. La simplicité extérieure cache des intérieurs pensés pour sublimer les vues et le lien à la nature, mais aussi comme de véritables tanières dans lesquelles se cacher et se réchauffer après des journées passées à l’air le plus pur de la planète. Un véritable flash-back en enfance, gardienne universelle de l’esprit shack.
Photographies
ADAM GIBSON