Sur une petite île des Caraïbes, le guitariste des Rolling Stones possède une villa pieds dans l’eau. Il y vient régulièrement entre deux concerts. Mais quand il n’est pas là, elle peut être louée. Bienvenue dans la planque du pirate du rock, installée à Turks et Caïcos.
Drôle d’archipel. Il compte une trentaine d’îles, la plupart inhabitées, couvre 948 km² (40 000 habitants et 24 kilomètres de routes goudronnées), une misère, qui tranche joyeusement avec les cascades de dollars qui ruissellent sur ses plages régulièrement désignées parmi « les plus belles des Caraïbes ». Son argument pourrait être l’invitation à vite venir savourer « La belle vie version Turks et Caïcos », plus habituée à chouchouter sa bonne fortune plutôt qu’à solliciter le FMI pour assurer ses fins de mois.
Une histoire de pirates
Le pays, territoire d’outre-mer rattaché à la Couronne britannique, porte un nom à faire se gratter la tête le plus savant des géographes. Des Turcs et des caïques sous ces latitudes si caribéennes, flottant à la croisée des vagues entre Bahamas et Cuba, la République Dominicaine et Haïti, bigre !
Pour l’expliquer, il convient de remonter aux années 1600, lorsque de sérieux pirates sévissaient sur toutes les mers connues d’alors. En Méditerranée, les marins ottomans passaient pour être les rois du brigandage. Et voici Turc devenu mot générique pour désigner tous les pirates de passage, en ces temps de colonisation des Amériques. Bingo pour les îles caraïbes quasi désertes dont chaque plage paradisiaque est séparée de sa voisine par une crique capable d’offrir un repaire très convenable aux bateaux noirs avant de s’en aller surprendre et piller les goélettes de Sa Majesté, qu’elles viennent d’Espagne, de France ou d’Angleterre en vue d’établir des colons dans la région. Va pour Turcs. Quant à Caïcos, il s’agit simplement de l’adaptation des cayos, comme on désigne les îlots de toutes les possessions espagnoles.
Bien loin de ces considérations historiques, les grands noms des vacances ont vite compris le potentiel de ces cailloux tapissés de mangrove et de cocotiers, bordés par des tapis de sable blanc propres à dorer joliment la peau de toutes les paresseuses de la planète. Pas de triche sur TCI comme on abrège l’archipel d’un air de vieil habitué : les vacances locales se déclinent entre plage, farniente, sieste, plage et paresse. Au pire, en cas d’hyper-activité pathologique, on saupoudre le séjour d’un peu de plongée ou d’un (petit) tour à bord d’un catamaran de luxe à l’heure du couchant et des coupettes bien frappées.
La ronde des jets privés
Inutile de demander les heures d’ouverture d’un éventuel musée, l’adresse du centre commercial ou de la boutique d’artisanat, la question ferait rigoler jusqu’aux poissons multicolores qui batifolent dans les eaux claires du lagon. Les citoyens du cru jouent sur un autre registre, eux qui ont le plaisir d’ignorer la traduction du mot « impôts » grâce à une taxe de séjour de 12% payée chaque année par plus d’un million de vacanciers qui ajoutent aussi 10% de service à leur addition. Mauvaise nouvelle, Turks et Caïcos n’a pas l’intention de devenir bon marché. Cette détermination enchante le gotha des bonnes fortunes qui souvent connaissent déjà le pays pour sa compréhension à l’égard des ficelles de « l’optimisation fiscale » ainsi qu’envers les piles de dollars qui arrivent dans des valises à la coque entre gris clair et noir intense.
Sans établir un lien de cause à effet, sur l’aéroport de Providenciales, la capitale du pays, la ronde des jets privés est incessante. En descendent toutes les étoiles du jour, cinéma, musique, foot, basket, stylisme, ainsi que les fortunes internationales, Internet, industrie, banque, mode, commerce…, qui la jouent discrète comme jamais. Les autorités s’arrangent pour maintenir les paparazzi à l’écart.
La nuit à plusieurs milliers d’euros
Il y a deux manières de passer d’heureuses vacances sur ces îles d’un autre genre. La première consiste à louer une villa, de préférence celle d’une star, budget conséquent à prévoir, on peut toujours essayer de se faire inviter. La seconde, bien moins onéreuse mais toute aussi chic, consiste à s’installer à l’abri d’un hôtel. La formule est plus classique tout en offrant l’originalité d’une destination encore très peu courue par les Français. Succès assuré au retour.
A 1 000 kilomètres de Miami (une grosse heure de vol) et sous l’autorité de Sa Majesté Elizabeth II, on ne s’étonne pas de croiser 90 % de vacanciers anglo-saxons sur Turks et Caïcos. Les quelques Français qui pointent le font surtout grâce à un de nos grands clubs qui a depuis longtemps ses habitudes ici.
Côté paillettes, le territoire a opté pour le plan à succès qui fait la gloire de ses voisines que sont Mustique ou la Barbade : qui achète une villa, compter entre 5 et 10 millions d’euros, bénéficie des services d’une agence de location qui fait ainsi rentrer quelque menue monnaie lorsque le propriétaire est absent, occupé qu’il est à gagner des montagnes de dollars. Pour une villa de deux chambres, la nuit est vite facturée plusieurs milliers d’euros, esprit du maître et confort absolu inclus. Certaines villas exigent plus de 10 000 euros le dodo douillet et so chic. Alors, ces immenses villas peuvent abriter jusqu’à dix pièces et autant de salles de bains, une salle de sport, un cinéma et offrent souvent le plaisir de regarder les vagues depuis leur immense piscine à débordement. Quant au soleil, permanent de décembre à septembre, à la mer dont la température varie entre 24 et 27°C, aux plages si douces, sans fin et invariablement désertes, à l’ambiance grande classe à ne rien faire puisque tout est servi sur un plateau d’argent par un majordome dédié, cadeau, c’est compris dans le bonheur des vacances à Turks and Caïcos. Les seules dépenses à prévoir s’inscrivent sur le registre du caviar, du champagne millésimé, du cigare rare, du massage sur la plage ou de la séance de méditation. Quelques milliers de dollars, une broutille. N’oubliez pas le pourboire.
Dona, Keith, Bruce, Prince, Lionel…
S’acheter une somptueuse villa, architecture et décoration forcément signées par des stars, histoire de doubler le budget, a séduit Dona Karan (prière de dire DK, dikai), créatrice de mode, Bruce Willis, acteur boule à zed qui s’y est marié, Christine Brinkley, ex-mannequin, toujours blonde et bouclée, ayant réussi dans les affaires, Keith Richards, guitariste déjanté des Rolling Stones, l’entrée de sa cachette posée au lieu-dit Rocky Point, ça ne s’invente pas, est signalée par une tête de mort (trois chambres, déco hippie chic, piscine, plage privée, pas moins de 5 000 euros la nuit), Prince, paix à son âme, dont la villa est posée au bout d’un chemin de pierres mauves, hommage à son Purple Rain, Lionel Messi, pied (gauche) d’or du Barça, Brad et Angelina, parents tatoués d’une tribu colorée, plus tous les magnats de Wall Street qui ne le crient pas sur les toits.
En cas d’absence du proprio, ces villas de nantis accueillent donc des hôtes assez fortunés pour négliger les additions. Outre la famille royale britannique au grand complet, après tout, elle est chez elle, on note sur le livre d’Or les présences de Paul McCartney, Bill et Melania Gates, Julia Roberts, Beyonce avec Jay Z, Barbra Streisand, Rihanna, Tony Parker période Eva, Bill Clinton, etc. Du beau monde. Mais pas que, puisque la résidence est ouverte à tous ceux à qui prend l’envie de déposer une pile de billets sur ces plages divines avec en prime une totale sécurité donc une parfaite sérénité. Ce n’est pas forcément le cas dans les pays voisins.
Vacances à l’américaine
L’autre formule consiste à réserver dans un hôtel de la place. Bonne nouvelle, les établissements du pays ne font pas dans la demi-mesure et adoptent les critères de l’American way of vacations, vastes chambres avec terrasse, lits pour géants, restaurants qui pétillent de selfies, convivialité démonstrative et absence totale de motivation pour sortir de la maison, d’autant que le projet n’aurait guère d’intérêt. Alors, s’adapter et bien choisir son adresse, se faire plaisir en visant la suite et, pour le reste, laisser faire ou plutôt, savourer la règle absolue du séjour balnéaire local, ne strictement rien faire.
Sachant enfin que le vol au départ de la France fait obligatoirement escale (Londres, Miami, New York…), prévoir un budget par couple d’environ 10 000 euros. Souvenirs pour la vie compris. Tous les amoureux savent que cela n’a pas de prix.
Par
JEAN-PIERRE CHANIAL
Photographies
COURTESY PARROT CAY