Paris-Reykjavik : 3h. Le bout du monde. Une autre planète. Une lune pétrie de fumerolles, geysers, sources chaudes, marmites de boue, solfatares, coulées de lave… Une terre qui a depuis longtemps embrassé son destin volcanique et géothermique, en a fait un atout. Les rebondissements des dernières semaines n’y changeront rien. La péninsule de Reykjanes, au sud-ouest de l’île, retient, il est vrai, encore son souffle. Ses entrailles ayant tremblé avec une intensité qui n’avait pas été enregistrée depuis longtemps – jusqu’à 3500 séismes en 48 heures lors de la crise majeure survenue mi-novembre. Sous la terre, un magma grandissant bouillonne, déformant la surface où vivent les hommes, menaçant de jaillir, de se répandre à ciel ouvert et de redéfinir les contours de ce que l’on connaît. Le risque d’éruption décroit, mais persiste. Par précaution, les habitants de la petite ville de Grindavik, près du Blue Lagoon, ont été évacués. On ne s’alarme pas. On sait ici mieux qu’ailleurs laisser faire la nature.
Terre de volcans…
À la croisée des plaques tectoniques eurasienne et nord-américaine, l’Islande est une terre hautement volcanique. L’île vit au rythme d’une trentaine de systèmes – 130 volcans, actifs ou endormis –, de leurs humeurs, de leurs personnalités. L’Eyjafjallajökull, bien sûr, inoubliable cracheur de cendres qui, en 2010, a mis sur pause une partie du trafic aérien mondial. Mais aussi le Fagradalsfjall sur la péninsule de Reykjanes, le Grímsvotn, le Thríhnúkagígur, l’Hekla, le Katla, le Hamerinn, l’Askja, le Holuhraun, l’Heimaey dans les îles Westman… Et le fascinant Laki qui, en 1783-1784, empoisonna les rivières et détruisit les récoltes et le bétail, entraînant une famine sans précédent et l’émigration d’un tiers de la population. Une physiologie unique propice à de nombreux événements volcaniques – un tous les cinq ans environ – qui redessinent en permanence les paysages et brouillent les pistes du temps. Les époques s’entremêlent, des volcans millénaires donnant naissance, à chaque éruption, à des roches nouvelles, petits morceaux de lave solidifiée. Des roches qui, comme l’indique le volcanologue Jacques-Marie Bardintzeff, sont « plus jeunes que nous », s’opposant à l’image poussiéreuse que l’on se fait généralement de la géologie. « La géologie n’est pas que le passé, c’est aussi le présent, c’est aussi l’avenir ».
Matthieu Ricard
… de paradoxes…
Les volcans ne sont pas tous ces montagnes féroces menaçant d’exploser à tout moment. Ils ne sont pas non plus tous de paisibles géants voués à dormir pour l’éternité. « Quand on pense volcan, on pense cône, cratère. Mais les volcans sont aussi différents que les êtres humains. » Pour Jacques-Marie Bardintzeff, l’Islande est, par sa diversité, l’un des plus merveilleux terrains d’étude scientifique qui « même sans éruption apporte son lot d’émotions ». En effet, l’île a la particularité de faire se rencontrer les extrêmes. L’eau à très basse température issue de la fonte des glaciers et le magma en fusion, à l’origine d’incroyables geysers, comme Strokkur. Les étendues lunaires des déserts de lave et les landes fertiles nourrissant moutons et chevaux au poil épais. Le calme des lacs et des lagunes glaciaires et le flot ininterrompu des cascades et des rivières où l’on pêche truites et saumons. Le vert des vallées et le rouge-orangé des massifs percés de solfatares… Partout, pourtant, la même esthétique pure, minérale, sauvage.
Matthieu Ricard
… et de vie
Pour les Islandais, le volcanisme est depuis longtemps une affaire du quotidien. On a appris à tirer le meilleur de ces forces venues d’en bas. La géothermie, ancestrale, est mise à profit pour relever des défis bien actuels, anticiper ceux de demain. Ceux de l’énergie, ceux de l’agriculture aussi. Les volcans enrichissent l’eau, l’eau alimente les cultures, les cultures nourrissent les hommes. La commune de Hveragerdi, à quelque 50 kilomètres de la capitale, fait figure de pionnière dans le domaine de l’agriculture responsable. Dès les années 1940, quelques diplômés de l’École d’Horticulture y développèrent des techniques de production plus vertes. Grâce aux nombreuses sources naturellement chaudes, salées ou soufrées, le thermalisme va bon train. On se la coule douce au Blue Lagoon, au lac Mývatn et dans la vallée des fumerolles. De quoi toucher du doigt – et du corps entier – au flux thermique anormalement chaud dont bénéficie le sous-sol national. Les tables locavores ont le vent en poupe aux quatre coins de l’île. Le tourisme aussi, l’Islande promettant définitivement bien plus qu’un Voyage au centre de la Terre, une aventure contemplative.
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Conclusion
Intense, la nature islandaise est aussi mouvante, incontestablement vivante. En une nuit, un volcan émerge, une vallée disparaît, un champ de lichen se convertit en champ de lave, un geyser s’éteint après 8000 ans d’activité. Le mythique Blue Lagoon pourrait ne plus exister demain. C’est ce qui fait la beauté de l’Islande. Ce qui permet que l’on puisse y retourner, année après année, sans jamais assister au même spectacle. Le matin, on se demande si l’on n’a pas rêvé ce dont on a été témoin la veille, si l’on ne rêve pas ce que l’on a devant les yeux. Et l’on accepte la fugacité des choses.
Matthieu Ricard
Par
ELEONORE DUBOIS
Photographie de couverture : Matthieu Ricard