Haïti

Haïti, musique métal à Noailles

Haïti, musique métal à Noailles

A 15 kilomètres au nord de Port-au-Prince, on entre en poésie. Voici le village Croix-des-Bouquets et son quartier un peu fou, Noailles, le repaire des géants du métal. Les marteleurs entrent en scène.

  

Personne ne sait vraiment combien ils sont. Trois cents, quatre cents, plus encore ? Ils travaillent les uns à côté des autres dans des ateliers ouverts sur la rue. Souvent, ce n’est qu’un simple établi protégé de la pluie par une bâche de plastique. Parfois il s’agit d’une pièce de la maison, préalablement consacrée par un prêtre vaudou. Les artistes racontent les lumières du ciel. Marteau et poinçon à la main, ils frappent, frappent et frappent encore le métal. Fûts de pétrole ou d’huile, capots d’épaves, rebuts de chantiers. Toute plaque de fer fait leur affaire. D’ici quelques jours, après des milliers de frappes, elle deviendra un motif de décoration, parfois une œuvre d’art.

 

 

Place forte de l’art haïtien

 

Le genre, il est presqu’unique au monde, est né en 1953. Georges Liautaud (1899-1991) forgeait des croix pour honorer les tombes du cimetière du village. Des créations suffisamment originales pour attirer le regard et l’admiration d’un américain, alors directeur du Centre d’art haïtien, qui l’encourage ainsi que ses voisins à travailler le fer de manière artistique. Une jeune génération formée par Liautaud (en particulier les trois frères Louis-Juste) s’empare de ce savoir-faire et en transmet techniques et esprit aux artistes qui aujourd’hui font de Noailles une des places fortes de l’art haïtien. Le fer forgé est son unique spécialité et aucune autre ville du pays ne lui fait concurrence. On y réalise de simples objets du quotidien, cadres pour miroir, crucifix, soleil et lune, poissons, oiseaux… Ou, plus complexes, des paravents, des personnages réels ou inventés, des scènes de la Bible, des masques rituels, etc. Car ici, l’art du fer découpé est imprégné de symbolique religieuse.

D’abord, on le travaille exclusivement avec ses mains, un marteau, un poinçon et sa force physique. Pas la moindre machine n’est admise dans les ateliers. Par ailleurs, les outils sont transmis de maître à élève, de père en fils, au terme d’un apprentissage et d’une initiation guidés par les lois du vaudou. Un passage par l’autel installé à l’abri d’un réduit sombre garni de poupées de chiffon, de bougies, de fioles mystérieuses et autres figures animales, est obligatoire. Ce n’est qu’à l’issue de cette épreuve que le jeune forgeron pourra frapper en toute autonomie, en toute liberté.

 

 

Icône vaudou

 

Le village est totalement dédié à son art. Les ateliers pressés les uns contre les autres, sont grand ouverts à la visite. Chacun expose des dizaines de réalisations. Tous les formats, tous les styles, fer verni ou peint, plan souvenir pour touriste de passage ou création pour initiés. Les tarifs, jamais indiqués, sont fixés sur place par l’artiste. D’une dizaine d’euros à la centaine. Négociation vivement recommandée. Les cartes de crédit ne fonctionnent pas.c

En entrant dans le quartier de Noailles, le visiteur y est accueilli par une grande statue de fer. Il s’agit de Manman Ferray, une œuvre créée en 2013 et signée Lionel St Eloi. Dans une main, un marteau et un poinçon, l’autre soutient un enfant. Il s’agit de Notre-Dame du perpétuel secours, icône bienveillante du panthéon vaudou.

Voilà qui perpétue la légende africaine des forgerons, arrivés de ce côté-ci de l’Atlantique comme esclaves depuis le Congo, le Bénin, le Ghana… Là-bas, chacun sait bien que les hommes du fer forgé sont désignés par les dieux afin d’être leurs messagers, de faire le lien entre eux et les hommes. A cette lumière, la musique métal de Noailles devient cantique. Et les marteleurs, des anges.

 

 

Par

JEAN-PIERRE CHANIAL

 

Photographie

JEROME GALLAND