Au firmament de la gastronomie, le couple de chefs stars formé par Pía León et Virgilio Martinez décline par l’assiette la diversité des écosystèmes péruviens. Une démarche qui s’inscrit bien au-delà de la simple aventure gustative.
Un voyage vertical, du Pacifique à “l’extrême altitude”, sans jamais quitter la table. Huit plats comme autant d’écosystèmes composant la diversité des paysages péruviens : telle est la suggestion du chef Virgilio Martinez, dont le Central, à Lima, a été élu trois fois meilleur restaurant d’Amérique latine, et de son épouse Pía León, consacrée meilleure cheffe 2021 par le World’s 50 Best Restaurant. Perché à 3800 mètres d’altitude, surplombant le site inca de Moray, l’une de leurs quatre adresses, le Mil, vous embarque ainsi pour un voyage culinaire “au-dessus du niveau de la mer” et à travers la biosphère péruvienne.
@Restaurant Central
Des “tableaux organiques” qui atteignent des sommets gustatifs
La gastronomie du pays avait acquis ses lettres de noblesse, depuis une dizaine d’années déjà, servie d’une part par l’immense diversité géographique et climatique nourrissant des ingrédients de tous les horizons – des palourdes au cabri andin, des fruits d’Amazonie au maïs sacré et à l’emblématique pomme de terre (plus de 4000 variétés) préparée à toutes les sauces. Mais aussi par cinq siècles de fusion entre la culture latine et celles de ses diverses migrations – européennes, asiatiques, arabes et africaines. Ajoutez à cela l’émergence de talents – dont José del Castillo (Isolina à Lima) ou l’indétrônable Gastón Acurio, chez qui le couple a fait ses classes –, et le panorama gustatif péruvien semblait bien établi.
@Restaurant Central
C’était compter sans l’arrivée d’une nouvelle génération dont Pía León (37 ans) et Virgilio Martinez (46 ans), peu impressionnés par les projecteurs, portent le flambeau. Élevés aux céréales andines, aux produits du marché et de la pêche du quartier de Barranco, où ils ont établi leurs QG – Central pour lui et Kjolle, nommé d’après un arbuste andin aux fleurs orange poussant au-dessus de 3000 mètres, pour elle –, tous deux apportent une dimension inédite centrée sur les ingrédients mais aussi sur les gestes et les traditions, différentes d’une vallée à l’autre. La récolte de l’huacatay (sorte de menthe noire), des kallampas (champignons andins) ou du kañiwa (un quinoa du futur), qui entrent dans la composition des plats du Mil ou du Kjolle, véritables “tableaux organiques”, est ainsi passée par de longs mois d’études.
Épaulés par une équipe d’anthropologues, de biologistes et de botanistes menée par Malena Martinez (sœur de), les cuisiniers remontent ainsi au plus profond de la culture locale. Mater, c’est le nom qu’ils ont donné à ce laboratoire dans lequel, en étroite collaboration avec les diverses communautés régionales, les deux chefs scrutent, infusent et distillent des pans de culture péruvienne qui se muent en concepts culinaires. Une approche qui dépasse largement la cuisine, s’intéressant aussi bien à la création artisanale. La démarche rappelle celle du Danois René Redzepi, chef triplement étoilé qui ferme définitivement les cuisines du Noma pour se consacrer à l’exploration culinaire. Une génération qui cumule les toques avec talent.
Photographie de couverture : @Restaurant Central