Cuisine

La gastronomie nordique : un vivier de saveurs et de créativité

La gastronomie nordique : un vivier de saveurs et de créativité

La cuisine nordique suscite des images évidentes de gravlax, roulés à la cannelle et confitures d’airelles. Et si l’on parlait plutôt de terres, de mers, de traditions, de fermentations et d’innovations ? La cuisine tout au nord s’enracine et vit au gré de la nature, contre mais aussi avec vents et marées. Ou quand des territoires bruts et puissants façonnent autant de plats typiques que de nouveaux paysages culinaires, à l’engagement écologique inspirant.

 

  1. Et si l'on revenait aux origines ?
  2. Des produits essentiels et beaucoup de bienfaits
  3. La nouvelle vague nordique
  4. Cartographie culinaire des pays nordiques
  5. À boire aussi !

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Et si l’on revenait aux origines ?

Les boulettes de viande suédoises Köttbullar, l’incontournable gravlax, les tartines danoises ou bien le fiskesuppe (soupe de poisson) norvégien : lorsque l’on évoque les mets des pays tout au nord, il y a certaines évidences, des points communs à chaque région, et quelques différences aussi. À cela, rien d’étonnant. La Scandinavie – stricto sensu Danemark, Norvège et Suède –, la Finlande, l’Islande, sans oublier les Îles Féroé : tous ces territoires nordiques s’étirent depuis d’autres frontières, s’étendent entre terres et mers.

Si la Norvège est réputée pour son saumon et la Suède pour ses harengs marinés, si les saveurs finlandaises dévoilent des influences russes et baltes, si le skyr islandais n'est plus un secret insulaire, il y a un fil commun à toutes ces cuisines : la nature. Brute, maritime, venteuse, parfois un peu hostile. Une nature froide que les assiettes réchauffent au rythme des saisons, que l’on pêche, que l’on cueille ou que l’on conserve. Une nature qui a écrit l’histoire des goûts et des saveurs de ces contrées.

Dans tout cela, les Vikings n’y sont pas pour rien. Afin de faire face à des conditions rigoureuses, ils ont développé chasse, cultures et techniques culinaires adaptées. Viande de renne séchée, pain d’orge, fromage blanc épais, poissons marinés ou fumés, cuissons au feu de bois, aneth et autres herbes… La nourriture Viking a laissé de fortes empreintes sur les traditions culinaires européennes, notamment dans la péninsule scandinave. Citons en exemple le pølse danois (un type de hot-dog), le fårikål norvégien (un ragoût de viande et de chou) ou le pitepalt suédois (des boulettes de pommes de terre farcies de viande).

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Des produits essentiels et beaucoup de bienfaits

À première vue, quand on pense boulettes, pommes de terre, confiture d’airelles et rollmops, on ne se dit pas que tout cela fait dans la légèreté. Pourtant, si la cuisine nordique n’a pas les caractéristiques solaires d’autres gastronomies, elle ne manque pas d’intérêts. Parmi eux, celui de nourrir le corps avec générosité et d’offrir des ingrédients aux qualités nutritionnelles incontestables : le poisson avec tout un tas d’omégas, les baies sauvages et leurs antioxydants ou encore le seigle que l’on retrouve dans les pains.

En Europe du Nord, l’eau n’est jamais bien loin. S’il est aujourd’hui nécessaire de remettre en question les impacts de la pêche de masse, ces régions septentrionales se sont développées grâce aux richesses des mers. Saumon de l’Atlantique, hareng de la Baltique, cabillaud arctique typique du littoral norvégien (que l’on nomme skrei ou morue lorsqu’il est consommé séché) mais aussi truite arc-en-ciel, églefin, maquereau, etc. Les assiettes ici respirent l’iode. Côté viande, la Finlande serait le pays nordique qui en consomme le plus, mais du Danemark à la Norvège en passant par l’Islande, ce ne sont pas les propositions carnées qui manquent. Leur particularité ? Des mets à base de gibier, de renne notamment, par exemple le reinsdyrsteik, un rôti de renne typique des grandes occasions en Norvège, qui s’accompagne de pommes de terre et légumes racines – sur ces terres poussent le navet, les betteraves, le rutabaga ou encore le céleri rave. Et puis, il y a les baies sauvages en abondance, que les Scandinaves dégustent fraîches dans les desserts ou toute l’année sous forme de confitures et de sirop. Myrtilles et airelles (ou canneberges) accompagnant les plats de viande, mûres, groseilles, framboises : acidulées, sucrées, juteuses, les baies apportent saveurs et surprises.

Dessert nordique

TinaStafrén/imagebank.sweden.se

 

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La nouvelle vague nordique

Longtemps considérée comme sommaire et assez linéaire, la gastronomie nordique est depuis quelques années le vivier d’une immense créativité, toujours dictée par la nature et le terroir. Bien plus que de cuisine, on parle ici d’un art de vivre enraciné dans un environnement aux rares exigences saisonnières. Ces dernières, tissant des traditions et techniques culinaires telles que le fumage, le séchage ou encore la fermentation qui permettaient de traverser l’âpreté des hivers, sont passées d’ancestrales à sources d’inspirations contemporaines.

Chef de file de la nouvelle scène culinaire nordique et véritable maestro de la fermentation : Rene Redzepi. Situé à Copenhague et ayant déjà remporté cinq fois le titre du « meilleur restaurant au monde », son Noma restera en activité jusqu’à fin 2024 avant de se transformer en Noma 3.0, un laboratoire géant d’innovations culinaires. Dans le sillage de ce chef engagé pour une cuisine écologique, durable et inventive, au plus près des saisons et des producteurs locaux, de nombreux talents ont émergé. D’Oslo au comté de Jämtland en Suède (avec la célèbre table Fäviken de Magnus Nilsson) en passant par les étonnantes Îles Féroé, les chefs nordiques ont constitué un mouvement novateur qui révolutionne à la fois la cuisine mais aussi le lien entre cette dernière et une conscience environnementale croissante. Preuve en est, le palmarès du Bocuse d’or Europe 2024, dont les 3 places du podium sont occupées par le Danemark, la Suède et la Norvège.

Restaurant nordique

Barbara Fish House / DR

 

Quelques tables à retenir

  • Sur les Îles Féroé : Koks, Ræst ou Barbara Fish House.
  • À Copenhague : Geranium, Høst et Kadeau Københav.
  • La cuisine de Mathias Dahlgren à Stockholm, Frantzèn ou Gastrologik.
  • Óx ou Dill en Islande, deux tables de Reykjavík.
  • En Norvège : Kontrast à Oslo, Lysverket à Bergen ou Iris, un restaurant flottant au cœur du Hardangerfjord.

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Cartographie culinaire des pays nordiques

Premier arrêt, la Suède. Si tout le monde connaît les köttbullar (boulettes de viande), le gravlax (saumon mariné dans un mélange de sel, sucre, poivre et aneth) ou encore les kanelbullar (le très régressif escargot à la cannelle), avez-vous déjà dégusté une Ärtsoppa ? Cette soupe de pois cassés, additionnée de morceaux de porc, est traditionnellement servie le jeudi avant des pancakes à la crème fouettée et à la confiture. Un solide menu en prévision du jeûne que les catholiques pratiquaient d’ordinaire le vendredi. Il existe par ailleurs deux types de crêpes de pommes de terre très populaires. En version fine, les råraka, et en plus épaisse, les raggmunk, sur lesquelles sont déposés lard croustillant et airelles. Une odeur et un goût qui réveillent, le surströmming est une spécialité à base de harengs fermentés apparue au XVIe siècle afin de pallier une pénurie de sel, qui jusqu’alors permettait de conserver ces petits poissons. Enfin, les räksmörgås (sandwiches ouverts à la crevette) se dénichent un peu partout et célèbrent le goût de l’été en Suède.

Fjords et eaux profondes obligent, en Norvège, les saveurs sont davantage iodées. Les locaux raffolent des fruits de mer et du célébrissime saumon qui, dès le petit déjeuner, se consomme à toutes les sauces. Mais pas que. Chaque hiver, le skrei (cabillaud) norvégien migre vers le nord. Péché de janvier à avril, il est séché au vent et au soleil, notamment dans l’archipel des Lofoten, pour devenir ensuite l’un des grands classiques de la cuisine arctique, le tørrfisk (ou stockfisch). Autre expérience à vivre en Norvège du Nord : la pêche dans les eaux glacées de la mer de Barents et la dégustation du crabe royal. Poisson fermenté, souvent de la truite ou du saumon, le rakfisk est servi en tranches avec de l’oignon rouge cru, de la crème aigre et du lefse, un pain concocté à base de pommes de terre, lait ou crème fraîche. Viande séchée à foison qui se consomme avec du pain et de la bière (par exemple les saucisses fenalår, soit de la viande d’agneau marinée et séchée), ragoût de renne (finnbiff) ou encore fårikål, l’emblématique ragoût de mouton avec chou et pommes de terre toujours : les carnivores ne sont pas en reste. Last but not least : le brunost, ou fromage brun, une spécialité à pâte brune et au goût caramélisé, servie sur du pain frais ou des gaufres avec de la confiture de framboises.

Qui dit Danemark dit smørrebrød, ces tartines de pain de seigle beurrées puis garnies d’un méli-mélo d’ingrédients, allant du poisson fumé au fromage en passant par des légumes croquants. Autres immanquables du pays : les sild, harengs marinés au vinaigre ou à la moutarde, et l’anguille roulée farcie aux oignons hachés, l’un des plats les plus anciens du Danemark. Impossible de faire l’impasse sur le pølse, le hot-dog danois, véritable institution culturelle. Sa particularité : être préparé avec une saucisse de porc gourmande et généreuse. Retenez bien aussi ce nom, même s’il est un peu long : rødgrød med fløde, soit un dessert traditionnel composé d’une compotée de fruits rouges et servi avec de la crème épaisse. Quant au risalamande, dessert traditionnellement associé aux fêtes de fin d’année depuis le XIXe siècle, il suffit de se pencher sur sa recette pour saisir sa popularité. Un riz au lait, de la poudre d’amandes, de la vanille, de la crème chantilly et un coulis de fruits rouges préparés à la maison. Un délice donc, que les enfants placent près du sapin pour attirer le Père Noël. Chacun ses coutumes, celle-ci est terriblement gourmande !

Un petit tour en Finlande et l’on découvre les karjalanpiirakka, des pâtisseries de la région de Carélie réalisées à partir de tartelettes au seigle garnies au porridge de riz. Basique de l’alimentation locale, le pain au seigle Ruisleipä s’invite sur toutes les tables, du matin au soir, et est souvent accompagné de fromage, beurre et saumon fumé. Les amateurs de myrtilles trouveront leur bonheur avec une part de mustikkapiirakka, une savoureuse tarte qui sublime la cueillette estivale.

À 2000 km de là, au-delà de la mer de Norvège, l’Islande a elle aussi ses indispensables, ceux que l’on a la sensation de connaître depuis toujours, ceux qui nous étonnent encore. Au petit déjeuner, avec des fruits frais, le skyr est à l’Islande ce que le fromage blanc est à la France. Moins communs sont le hákari, requin fermenté et séché, et le sviõ, une tête de mouton bouillie servie avec des rutabagas et des pois.

Et puis, il y a cet archipel à mi-chemin entre tout cela et l’Écosse. D’inconnues, les Îles Féroé sont devenues ces dernières années une destination de choix. Et la cuisine n’y est pas pour rien. Ici, l’hostilité des éléments a créé des goûts plus qu’étonnants. Ceux du ræst féringien, un processus de séchage à l’air libre et salin des poissons et de la viande de mouton. En bouche, le goût est brut et s’apparente à l’umami, la cinquième saveur que l’on retrouve entre autres dans les protéines fermentées. Sur ce bout du monde en pleine mer, la rareté des ingrédients a développé un sens de la créativité, où algues et herbes changent la donne et où la simplicité s’incarne dans des plats comme le ryõmav, une soupe de poisson concoctée avec des poissons locaux, des oignons, des épices et des pommes de terre.

Plat nordique

Poppy Darcy Mörner / Visit Denmark

 

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À boire aussi !

Il y a celles avec lesquelles on se réchauffe, celles pour trinquer. Hormis la bière, que l’on boit au Danemark depuis 5000 ans, l’aquavit ou eau-de-vie (distillation de pommes de terre ou de céréales avec des épices) est servie lors des fêtes ou en digestif. Vin chaud épicé avec de la cannelle, du clou de girofle, du gingembre et de la cardamome, le glögg suédois accompagne les longs mois d’hiver. Quant au café, il s’inscrit dans la coutume suédoise du Fika qui consiste à partager une tasse et une gourmandise avec ses amis. Bien plus qu’une pause-café, c’est un instant de retrouvailles et d’échange, envisageable à tout moment de la journée.

Restaurant nordique au bord de l'eau

Patrik Svedberg/imagebank.sweden.se

 

Par

MARIE MERSIER

 

Photographie de couverture : TinaStafrén/imagebank.sweden.se