L’île département français de l’océan Indien cache un trésor. Au centre, noyé dans la végétation tropicale et à 930 mètres d’altitude, le petit village de Hell-Bourg est depuis 1998 l’un des « plus beaux villages de France ».
Il s’en est fallu d’un rien. Hell-Bourg a manqué de peu la victoire et a été classé quatrième « Village préféré des Français », une fantaisie imaginée et animée par Stéphane Bern sur France 2, le 19 juin 2018. Pas si mal quand on sait que le final de la compétition se déroulait en bien belle compagnie, quatorze communes, parmi lesquelles le Mont Saint-Michel, l’île de Sein ou la Couvertourade en Occitanie. Bref, Cassel (Nord) a gagné devant Mittlebergheim (Bas-Rhin), Roussillon (Vaucluse) et Hell-Bourg, à une marche du podium.
Souffle vrai et vibration intime
Un bonheur pour ses quelques centaines d’habitants, ceux « des Hauts » comme on appelle les micro-communautés installées dans les vallées et sur les plateaux de l’intérieur de la Réunion. Peu nombreux, ils gardent l’essence de l’île, son souffle vrai, sa vibration intime.
Il faut dire qu’ici, on vit à l’écart de tout. Des embouteillages qui paralysent la route côtière, des frimeuses tatouées qui dansent en ville, des insouciances de la plage ou des fonctionnaires pointilleux. Non, à Hell-Bourg, on cultive une relation directe avec la terre. Impossible de ne pas succomber sous les feux du volcan (la Fournaise, 2 632 mètres d’altitude) ni à l’impressionnant chaos nature du cirque de Salazie, là où se pelotonne Hell-Bourg. Ne manquent plus que les tourments du ciel pour admettre que l’esprit a installé ici son grand œuvre en offrant aux méritants l’une de ses plus belles scènes. Le show y est permanent au point que la formule « Nature intense » prend tout son sens. Du vert omniprésent, sur toutes ses déclinaisons, de l’eau partout, air saturé d’humidité, cascades, fontaines claires, averses fréquentes, orchidées sauvages, sommets altiers qu’on admire de l’aube au crépuscule (cinq sommets entre 1500 et 3 000 mètres tout autour, dont le Cimendef, la Roche-Ecrite et le fameux Piton des Neiges à 3 071 m), des centaines de kilomètres de chemins de randonnée… Sans parler du charme du village, de la simplicité des habitants de rencontre, de leur bonheur à vivre loin des urgences de la planète.
Thermalisme d’abord
L’histoire commence en 1832. Deux chasseurs traquent le cabri sauvage le long des sentiers de montagne glissés sous un fouillis de mapou, de bananiers, de tamarins, de tan rouge, de fougères arborescentes, de palmistes, de buissons d’hibiscus… Le hasard met sous leurs pas une source d’eau chaude. Bingo ! Le thermalisme assurera la fortune de l’endroit. Quel endroit ? Celui qui sera baptisé en l’honneur du gouverneur de l’île qu’on appelle encore Bourbon, Anne Chrétien Louis de Hell. Rien à voir avec un quelconque enfer, juste la première pierre d’un avant-goût de paradis. Car les scientifiques l’attestent : les vertus des eaux de Hell-Bourg sont comparables à celles de Vichy ou de la Bourboule (traitement des douleurs articulaires, de l’eczéma, du système artériel…).
De belles villas créoles sont vite érigées à proximité par les bonnes fortunes réunionnaises, commerçants, hauts-fonctionnaires, propriétaires terriens. Le centre thermal voit le jour, puis un hôtel, un casino, d’autres maisons où l’on vient prendre le frais et les eaux. Hell-Bourg accueille le gratin local mais également les voisins chics de l’île Maurice et de Madagascar, des familles indiennes, d’autres débarquées de Zanzibar… Heures de gloire.
Elles vont carillonner un peu plus d’un siècle. Le débit de l’eau miraculeuse se tarit peu à peu, la station rivale de Cilaos sur le cirque voisin connaît un meilleur sort, les infrastructures thermales se détériorent mais surtout, le cyclone de 1948 fracasse tout sur son passage et Hell-Bourg n’y résiste pas. Lorsque le vent se calme, l’accès aux sources est totalement obstrué. Une tentative pour les déblayer à l’explosif ne fait que les combler définitivement.
Paradis des randonneurs
Reste une légende, posée là-haut, un peu plus proche du ciel, à 22 kilomètres de la pluvieuse et peu attrayante Saint-André (à l’exception d’un magnifique temple hindou), en suivant la D 48 qui virevolte entre deux haires vertes, palmiers, bananiers, banians, tamarins…, preuve d’abondantes précipitations sur cette côte de la Réunion. En arrivant, les amateurs de randonnée en ont déjà des fourmis dans les mollets. Tant mieux, ils pourront sillonner les centaines de kilomètres de chemins balisés qui griffent la région. Attention, paysage cabossé et pentes raides au programme des costauds. Les autres se contenteront de savourer la divine ambiance de Hell-Bourg.
Voici un village coquet, dessiné au carré, pas une habitation (les colons du XIXème siècle disaient « les maisons du changement d’air » pour se réjouir de la relative fraîcheur des lieux) qui ne soit joliment fleurie, tenue avec soin. Les plus belles de ces villas créoles sont semées le long d’un itinéraire fléché : la Maison Folio, toujours habitée par la famille, celle des Morange qui abrite un étonnant musée des instruments de musique, la maison Fonlupt, la villa Lucilly et nombre d’autres à la façade de bois peint de couleurs vives ici, tendres là-bas, avec varangue pour soirées paresseuses et jardin coloré où il devait faire bon échanger des baisers. Ne pas manquer le cimetière dont les épitaphes racontent deux siècles d’histoire, prouvant s’il le fallait qu’entre l’épouse du planteur de café, le marin égaré et la mama noire aux trop nombreux enfants, il n’y a qu’une simple allée de terre. Elle est fleurie toute l’année, sans souci des destinées.
La belle aux seins nus
Enfin, saluer l’incroyable statue plantée devant la mairie. La belle aux seins nus qui tient en sa main droite un rameau d’olivier, au bras gauche, un bouclier, comme on sait, vouloir la paix, c’est aussi préparer la guerre, est un bronze de 3,20 m de hauteur signé Carlos Sarrabezolles en 1930. Son nom : L’Âme de la France. Un monument de la Victoire pour célébrer l’héroïsme des soldats venus de la Réunion combattre l’ennemi au cours de la Première guerre mondiale. La pauvre a d’abord été victime du curé de Hell-Bourg qui mit la dépoitraillée face contre terre, puis du cyclone de 1948 qui la fit oublier au fond d’un jardin. Retrouvée, la Victoire sert désormais de signature au village et pousse ses habitants à redoubler d’efforts.
En effet, la commune, une des plus pauvres de la Réunion, peine à se valoriser. Ses édiles rêvent d’un destin touristique brillant. Il faudrait des maisons d’hôtes, des tables où bien manger, des échoppes d’artisans… Les candidats sont rares. Les deux épiceries chinoises tenues par Léonce et George, ont fermé il y a trois ans. Personne ne s’est pointé pour prendre la suite. Certains avancent que la majorité de la population vivrait sous le seuil de pauvreté et taisent le taux de chômage, indécent. La solidarité familiale à l’ancienne comble les fins de mois impossibles. Dans ces conditions, les subventions pour restaurer le patrimoine local, cases, jardins, parcs, façades, ruelles… est minimaliste et la municipalité fait appel aux bonnes volontés pour séduire les visiteurs, principale promesse de revenus. Elles sont nombreuses à se manifester, l’électricien prête son échelle, le maçon file un coup de main et les garçons qui pointent à l’ANPE se retroussent les manches pour que Hell-Bourg reste une année encore parmi « les plus beaux villages de France » (157 élus sur les 35 416 communes du pays).
Allez, chiche, l’an prochain, on retente l’aventure du « Village préféré des Français » à la télé. Trois marches à franchir n’ont jamais fait peur à un Réunionnais des Hauts.
Par
JEAN-PIERRE CHANIAL
Photographies
LUDOVIC JACOME / VOYAGEURS DU MONDE