Le tempo s’accélère au carrefour des océans où le Panama fait le grand écart : un pied aguicheur dansant de rives sauvages en lianes tropicales, l’autre sur les pelleteuses qui dissèquent les entrailles de son vieux canal qui à bientôt cent ans, voyant grand, et double, pour y insérer un système de titanesques écluses.
20 000 mille panaméens lissent et creusent les « cerros » de boue pour y faire passer les « post-panamax ». Mastodontes marins, dans le jargon du transit maritime mondial. Ils remplaceront les déjà obsolètes « panamax » calculés au centimètre près pour se glisser au chausse pied dans de vétustes écluses. Celle de Miraflorès en fait déjà un maxi-show, à applaudir de son resto panoramique. Dès 2014 pour changer d’océan, finie la queue des navires entre fumée des diesels et effluves de forêts plus vraiment vierges, « Full speed ahead », économisant CO2 polluant et eaux du Lac Gatun, dans un numéro de haute voltige technologique, pharaonique, mais aussi écologique, chantent, en rimes et en chœur, ceux qui ont voté pour à 80%…
Robert Haidinger/LAIF-REA
Pour les autres, épris de vie sauvage, le Panama banque sur son invraisemblable nature qui résiste et s’éclate. Isthme aux aventures fougueuses entre deux Amériques, métissant les sèves et les semences entre Nord et Sud, il grouille d’animaux, de tous poils, plumes et écailles qui s’y sont joyeusement reproduits.
De l’humus à la canopée de dédales verdâtres balisées en réserves – plus de la moitié du pays –pullulent des espèces qui volent, rampent, sautent, fouillent et grimpent. Muséum d’Histoire naturelle débauché sous le ciel des tropiques, le singe hurleur y fait son Capucin Blanc, le quetzal et le toucan agitent leurs trucs en plumes arc-en-ciel, l’armadillo roule des écailles face aux crocos béants d’envie et au large, baleines et dauphins partent en croisières avec les tortues. Et tout çà vibrionne de mille sortes de papillons dûment recensés ! Une sorte de jardin d’Eden implanté aux bords des fracas du progrès.
Des communautés amérindiennes non moins tenaces ont réussi à s’y ériger en vigoureuses « Comarcas », farouchement autonomes, arrachées aux descendants des colonisateurs. Des visiteurs au-dessus de tout soupçon pollueur peuvent s’écrouler sur ces territoires rescapés, entre hamacs tissés main et coraux protégés. Côté Caraïbes les Kunas piroguent à tour de bras, sillonnant l’archipel de leur « Kuna Yala » -ex San Blas - arborant orgueilleusement costumes et coutumes. Pas toujours commodes, leurs maîtresses femmes, scintillantes de bijoux dorés comme leur peau et ceinturées de « molas » bariolés aux motifs symboliques, consentent à prêter quelques-uns de leurs îlots aux amateurs de paradis balnéaires originels. Plus au Nord la Comarca des Ngöbé Buglé est taillée dans les mangroves qu’avalent « Las Bocas del Toro », et ses « ilas » aux rouleaux turquoises. Surfeurs et plongeurs y jouent aux robinsons en goguette, chaloupent sous les palmes et se finissent au rhum local. À l’écart du tumulte le « Camino Real » poursuit son chemin extirpé de la jungle jusqu’au port de Portobelo, fortifié contre de fameux pirates et nouveau lauréat du Patrimoine Mondial. Des mules croulantes sous les lingots d’or et d’argent venus du Pérou y ahanaient jusqu’aux navires conquistadors mouillés dans l’anse où aujourd’hui des voileux, genre routards des mers, fuient les marinas en s’ancrant face aux champs d’arums. Durant le carnaval les jeunes « Congos » hilares descendant d’esclaves évadés y paradent, se foutant des attributs vestimentaires des maîtres blancs, d’hier…et des modes d’aujourd’hui.
Eddie Gerald/LAIF-REA
Sur la côte Pacifique Panama City vrombit de son boom immobilier dans une capitale qui fait non moins le grand écart : à un bout de la baie un Miami dopé par le pactole de ses trafics où poussent hôtels et gratte-ciels, de l’autre « Casco Viejo », la vieille cité que l’on ravale, lifte et maquille comme la grande coquette qu’elle fût, rivale de La Havane pour le stupre et le lucre. Des beaux restes qui s’ébrouent sous les regards d’admirateurs descendus des paquebots de croisières. Pour réconcilier tous ces mondes et en célébrer les épatantes survivances Frank Gehry nous promet pour l’année prochaine l’envol d’un perroquet psychédélique posé face au Canal. Son Musée de la Biodiversité, dit le « Bridge of life », tour de magie monumental de merveilles emboitées brillamment, contera comment ce petit ruban de terre a noué toutes les vies du nouveau monde des Amériques avant de les séparer.
LES BONNES RAISONS D’AIMER LE PANAMA
Voir les énormes navires s’engager sur le canal depuis une petite coquille de noix, pêcher le peacock bass sur le lac Gatún, flâner dans le quartier colonial de Panamá City, visiter le tout nouveau musée de la biodiversité imaginé par Frank Gehry, admirer Panama by night depuis la calzada de Amador, survoler en coucou, la ville, le canal, la jungle et se poser pour finir sur l’archipel des San Blas, rejoindre en pirogue un îlot de bout du monde, rencontrer la communauté autonome des indiens kunas, plonger dans l’ambiance afro-caribéenne de l’archipel Bocas del Toro, surfer à Santa Catalina, rencontrer les chercheurs de l’institut de recherches tropicales Smithsonian, et les baleines à bosse au large de l’île de Coiba, épier l’oiseau Quetzal sur les collines du Chiriqui, se prélasser sur les plages de l’archipel de la Perle.
Photographies de couverture
STEFAN BONESS/PANOS-REA