Le chef Jean Imbert met sa créativité au service d’un navire légendaire, théâtre du best-seller Mort sur le Nil d’Agatha Christie. En prenant la barre de la carte du Steam Ship Sudan, il convie les passagers à croiser par les papilles, entre les millénaires d’histoire et l’Égypte agricole.
À en croire la réplique de Linnet Ridgeway, interprétée par l’actrice Gal Gadot dans la dernière adaptation à l’écran du best-seller d’Agatha Christie, Mort sur le Nil (2022), il y aurait à bord “suffisamment de champagne pour remplir le Nil”. Une annonce rapidement démentie par le critique américain Jackson McHenry, qui s’est amusé à comptabiliser chaque flûte apparaissant au casting, dans un calcul comparatif risqué avec le débit du plus grand fleuve d’Afrique. En revanche, pas un mot sur le menu qui précède le crime, ni dans la superproduction de Kenneth Branagh, alias Hercule Poirot, ni dans la version originale écrite par la reine britannique du whodunit (“qui l’a fait ?”), en 1937. L’impair est désormais réparé. Une fois n’est pas coutume, ce n’est pas un fin limier belge et moustachu que l’on doit remercier, mais plutôt un chef français qui manie les couteaux de cuisine depuis sa tendre enfance. Jean Imbert twiste la carte contemporaine de cette capsule flottante de la Belle Époque.
Jean Imbert est loin d’être à son coup d’essai, de la cuisine de sa chère mamie à celles, emblématiques, du palace parisien Plaza Athénée, en passant par les cartes de The Brando, sur l’atoll de Tetiaroa, refuge polynésien du plus célèbre des “révoltés du Bounty” et du Venice Simplon-Orient Express, l’autre grand hit agathachristique. “J’ai gardé une âme d’enfant. J’aime qu’on me raconte de belles histoires et celle de ce bateau centenaire est immense ! Par la cuisine, je participe à la faire perdurer, je m’inscris comme un simple passeur”, confie le cuisinier. Respecter l’histoire du lieu, le contexte dans lequel celui-ci navigue, le motto compte parmi les ingrédients d’un chef qui jamais n’oublie l’importance du caractère local. “Le Nil est une source d’inspiration intarissable, largement référencée par les livres, les films. L’erreur serait de proposer une carte à la mode, occidentalisée. Je vise une cuisine intemporelle basée sur les produits locaux – épices, lentilles, poissons –, relevés de quelques twists”, lance le chef. La brigade du Steam Ship Sudan n’a d’ailleurs pas attendu cette nouvelle carte pour sourcer ses produits auprès de petits producteurs locaux et de fermes biologiques installées au nord du Caire. Très prochainement, un potager de deux hectares, en cours de réalisation sur les rives de Kom Ombo, fleurira lui aussi les assiettes.
Boby
Caramel d’hibiscus et citrons d’Égypte
En 2024, les passagers qui prennent pied sur les ponts en teck du Steam Ship Sudan, vaisseau amiral de la flotte Thomas Cook & Son – à l’origine des premières croisières sur le Nil dans les années 1920 –, savent donc avec une quasi-certitude à quelle sauce leur croisière sera mangée. Pain perdu au caramel d’hibiscus dès leur premier matin sur le Nil, lorsque la lumière du désert arrose de son miel les coursives et l’encre de l’eau. De retour à bord après un tête-à-tête avec Osiris au temple d’Abydos, quelques mezzés pour le déjeuner : taboulé aux herbes égyptiennes, roulé d’aubergine confite et pignons de pin, houmous, guacamole et condiment au citron vert local. Dans l’après-midi, lorsque la chaleur saisit la vie des rives, une glace mouloukhiya et praliné hibiscus apaise âmes et palais. Certains soirs, Jean Imbert propose des dîners-projections autour de grands classiques du septième art. Cléopâtre (Joseph L. Mankiewicz, 1963) combine la douceur des yeux d’Elizabeth Taylor à celle, acidulée, de la grenade. Les Dix Commandements (Cecil B DeMille, 1956) accompagnent canard et carottes au miel, concluant après 3h42 sur un tajine d’ananas aux épices. Enfin, icing on the cake, Mort sur le Nil (version 1978 de John Guillermin, avec Peter Ustinov dans le rôle de Poirot) est projeté durant la croisière. Savoureuse enquête, ici bordée de soupe de lentilles, tagine de poulet aux citrons égyptiens et riz à l’ananas. Énigme résolue. Vous reprendrez bien une coupette ?
Boby
Par
BAPTISTE BRIAND
Photographie de couverture : Boby