Visiter l’ancienne Ceylan sur un air d’antan. C’est possible à bord du train qui relie Colombo, la capitale de l’île, à Kandy, son étoile religieuse. Le voyage dure trois heures, à travers un paysage nature, entre jardins, forêts, cocoteraies et lacs tapissés de lotus. Magique.
Oublions Colombo. La première dame du Sri Lanka, 800 000 habitants sur les 23 millions que compte le pays, est certes la porte d’entrée obligée du voyage mais ne mérite que le temps nécessaire à la récupération du (petit) décalage horaire avec la France, 3 heures 30 seulement. Un détour par le front de mer, un verre au bar du mythique Galle Face Hotel, un plongeon dans un des marchés de la ville et le séjour sera bouclé. Pour la suite, entre temples, plantations de thé, sites religieux et plages, il s’annonce somptueux. Direction d’abord la gare centrale de Colombo.
Train à wagons bleus
Prière ne pas souffrir d’agoraphobie. Et ne pas imaginer que les sagesses du ciel édictées par Shiva ou Bouddha génèrent discipline et bienveillance. Les guichets comme les trains sont pris d’assaut, sans le moindre ménagement pour les dames, les enfants, les étrangers, les vieillards ou les hésitants. Pour éviter l’inévitable bousculade et se démarquer de la philosophie du combat pour la vie, il suffit de réserver son billet. Le plus longtemps possible à l’avance. Opter pour le train le plus chic, l’Intercity à wagons bleus. Ajouter la première classe avec fauteuils moelleux, air conditionné et salon d’observation (grandes baies vitrées). Préférer l’horaire du matin pour éviter d’arriver à Kandy la nuit tombée, rouler dans le sens de la marche, bien entendu, et tant qu’à faire, sur la droite, le côté préféré des connaisseurs. Ouf. Le billet coûtera moins de 15 euros. En voiture, s’il vous plaît !
Au programme de cette journée sur les rails, 115 kilomètres parcourus en un peu plus de trois heures, au rythme lent d’un tortillard tiré par une machine diésel peu soucieuse de ses émissions de CO² comme en témoigne son panache noir à chaque accélération poussive. Le confort cossu de la voiture de première classe rappelle que Ceylan fut longtemps terre d’empire britannique (1796-1948). A bord, ambiance feutrée entre voyageurs de bonne compagnie. Pratiquement tous sont des visiteurs venus d’ailleurs. Il ne faut donc pas hésiter à sortir un instant de ce salon douillet, tout de velours et de métal astiqué, pour aller s’encanailler dans les wagons de deuxième et troisième, classe, histoire de humer une ambiance 100% sri lankaise. Vendeurs de tout, cigarette à l’unité, gâteaux, sodas, cacahuètes, riz, bonbons, beignets… circulant le long du convoi, voyageurs entassés sur les banquettes de bois, empilement de sacs, paquets et ballots. Le tableau est joyeusement authentique.
La plus belle vérité
Le grand intérêt de ce parcours est d’offrir une image inédite de Sri Lanka, nature, vraie, sincère. Les voies sont dessinées au plus juste. Elles frôlent talus et rocailles pour traverser un paysage grandiose que l’humidité des tropiques habille de vert intense. Cocoteraies, bananeraies, plantations d’ananas, plans d’eau tapissés de fleurs de lotus, rizières, défilent le long d’un paysage cabossé qui révèlent que Sri Lanka est bien plus montagneuse qu’on l’imaginait. Quelques haltes animent le périple. Villages improbables au secret d’une campagne d’extrême simplicité, des voyageurs embarquent, d’autres arrivent à destination, les marchands se renouvellent, fruits, eau, chewing-gums, noix de coco... Le convoi frôle un temple fraîchement peint de blanc, une masure pimpante, une vache maigrelette au piquet, un chien aboie, des enfants saluent avec des grands gestes et des bouilles fendues, un petit marché aux légumes, un village silencieux. Le train ralentit, éventuellement s’arrête au milieu de nulle part. Un couple de buffles traversait la voie, prière de ne pas déranger. Sri Lanka s’offre ici dans sa stricte simplicité, loin du monde et de ses rendez-vous pressés. Certains pensent « dans sa plus belle vérité ».
Cet éloge trouve son apothéose à Kandy. L’ancienne capitale royale a toujours été considérée comme l’étoile religieuse, principalement bouddhiste de l’île. Dessinée autour d’un joli lac artificiel, la ville de 250 000 âmes bruisse de manière bien plus agréable que Colombo. Rendez-vous obligé au temple de la Dent. Au moins pour une raison : l’incroyable ferveur qui y règne de l’aube jusqu’au crépuscule. Les pèlerins s’y bousculent, bâtonnets d’encens portés, mains jointes, au front, prières murmurées à genoux, psalmodies chantées à voix basse, bougies allumées pour éclairer demain ou illuminer les défunts, offrandes déposées afin de régaler les esprits bienveillants… Le tout, dans une joyeuse bousculade, regards éperdus de soumission envers une gloire plus grande que le monde. Impressionnant de cohésion et de sincérité. A voir lors de la cérémonie de grâces célébrée chaque du soir vers 19 heures si l’on ne redoute pas la foule et ses promiscuités. Deux autres salutations, un peu moins fréquentées ont lieu à 7 heures puis à 11 heures.
L’indicible qui sépare le savoir du croire
Cette relique du Bouddha serait une dent miraculeusement sauvée (cachée dans la chevelure d’une belle) lors de la crémation de Siddhartha Gautama, dans le sud de l’Inde, au VIème siècle avant notre ère. Les historiens comme les scientifiques s’avouent sceptiques. Mais qu’importe. Le temple de Kandy avec ses jeux d’ombre et de lumière, ses recoins mystérieux et ses autels illuminés, offre le temps fort de cet indicible qui sépare le savoir du croire. Pas un cinghalais de passage, tête à la fête, regard tendu vers le ciel, ne doute qu’il s’agit d’une vraie dent du Bouddha, enchâssée dans sept coffres d’or emboités les uns sur les autres. La relique sortira du temple en juillet-août à l’occasion de la Perahera, la grande fête de Kandy qui, durant une dizaine de jours et en soirée, célèbre tout à la fois la pleine lune et la dévotion envers le saint lumineux. Défilé d’éléphants richement harnachés, musiques et danses traditionnelles, chars et foule dévote, la rue est alors livrée à l’expression populaire et c’est merveille.
Une autre curiosité de Kandy doit être explorée. Il s’agit du jardin botanique dessiné un peu à l’écart de la ville (9 kilomètres), juste en face de l’université. Raison pour laquelle, ses haies de bambous ou ses cascades de bougainvillées abritent souvent de tendres aveux.
Planté il y a plusieurs siècles pour l’agrément des rois de l’île, ce paradis vert de 60 hectares a vite passionné l’occupant britannique. A partir de 1821, il en fait une démonstration d’excellence jardinière, réunissant plus de 4 000 essences, du palmier géant à la fragile orchidée (fantastique maison dédiée rassemblant plusieurs centaines d’espèces), les épices autant que les cactées, les plants de thé comme la plupart des fleurs tropicales, hibiscus, frangipanier, oiseaux de paradis, anthurium…
Une bourgade So British
Avant de faire la pause pieds dans l’eau sur les plages plein sud (Bentota, Hikkaduwa, etc.) ou bien à l’est, Passikudah, Nilaveli, qui se relèvent peu à peu des ravages de vingt années de guerre civile, passage obligé par les collines à thé. Au moins pour faire connaissance avec le breuvage préféré des anglais qui développèrent ci une culture raffinée des petites feuilles vertes toujours cueillies à la main. Attention toutefois : le meilleur de la cueillette est réservé à l’exportation, source de précieuses devises. Elle ne se trouve donc pas sur les étals des manufactures ou au bar des hôtels.
Le sommet de la route du thé (3 heures depuis Kandy), spectaculaire à souhait tant elle est friande de virages serrés, d’épingles et de raidillons, réserve un étonnement final : le village de Nuwara Eliya. Posé à 1900 mètres d’altitude, il est souvent mangé par les brouillards et les petites pluies aussi fines que glacées. Il n’en fallait pas plus pour que les Britanniques adorent et s’approprient la région pour en faire leur villégiature, loin des chaleurs de la côte et des vilains coups de soleil qui frappent leurs peaux trop pâles.
L’étonnement vient de ce que ce bourg improbable soit resté dans son jus « so British » : pelouses qu’on dirait taillées au ciseau, pubs avec pintes moussues, billard et jeu de fléchettes, parcours de golf, évidemment, hippodrome, maisons d’architecture victorienne ou Tudor, bow-windows et rideaux de dentelle, œufs et bacon avec toast pour le petit déjeuner, « Five O’clock tea » en cérémonieux service… Ne manque que le Times repassé par un gouverneur pointilleux pour s’imaginer deux siècles en arrière ! Pas un Sri-Lankais de Nuwara Eliya ne s’en plaint et imagine remonter l’horloge du temps. Comme s’il fallait conserver un îlot de nostalgie pour mieux inventer le futur. Sri Lanka, enfin apaisée, promet qu’il sera radieux..
Par
JEAN-PIERRE CHANIAL
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