C’est en Toscane qu’est extraite la quintessence de l’art de vivre italien. Une façon de rendre plus beaux les paysages, de faire de l’Histoire le sel du présent, d’harmoniser tous les éléments qui font la vie plaisante et riche en sensations. L’Italie étant ce qu’elle est, la vigne ne pouvait manquer aux composants de cet alliage à la fois naturel et sophistiqué. La route des vins de Toscane, où des appellations prestigieuses viennent en appoint de l’emblématique chianti classico, est un itinéraire géographique, vigneron, artistique et, surtout, buissonnier.
L’art des vignes
On se rappelle les pizzerias d’antan, qui avaient à leurs murs des bouteilles rebondies, emmaillottées de paille et sur les étiquettes desquelles riaient des Italiennes. Ce chianti n’était pas très bon, mais il diffusait un exotisme méridional et ensoleillé. Cependant, les Toscans eux buvaient leurs bons vins. Et surtout ils les amélioraient. La généralisation des échanges d’agrément et de négoce devait permettre de s’en apercevoir. Avec le cépage sangiovese, il se vinifiait autre chose que le tout venant du chianti en fiasque. Le label DOCG (Denominazione di origine controllata e garantita) assure de bonnes dispositions : Chianti classico, Brunello di Montalcino, Vino nobile di Montepulciano, Carmignano en bénéficient. La route des vins de Toscane s’esquissait qui, par les vignes et les vaux ravissants de la regione, engage à combiner éblouissement artistique et dive bouteille. La nature variée des sols toscans permettant d’obtenir des types très divers, de breuvages légers à boire à la régalade à des vins de longue garde, autour desquels règne un climat de ferveur gustative (et se pratiquent des prix extravagants). En somme, il en est de la Toscane comme des meilleurs vignobles français. Avec peut-être, en plus, une esthétisation des plaisirs dont les Italiens ont le génie.
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Du chianti
Revenons au chianti. Il y a le Chianti classico, que l’on produit entre Florence et Sienne, et que distingue un coq noir, le gallo nero. Ce volatile aurait, au Moyen Age, dépossédé Sienne de presque tout le terroir viticole afférent au profit de Florence. En tout cas, le trouvez-vous sur une bouteille que le contenu de celle-ci est garanti des vignes les plus authentiques. À côté, le simple Chianti, s’il n’est pas à mépriser par principe, fait un peu parent pauvre. Son domaine est plus vaste, ses volumes plus importants et sa qualité convenable. Ce qui ne saurait se comparer aux plus nobles bouteilles du domaine historique. Le Chianti classico, ce sont un peu plus de 7000 hectares de vignes et quatre communes principales : Greve in Chianti ; Radda in Chianti ; Gaiole in Chianti ; Castellina in Chianti. On fait là des vins rouges d’une très belle tenue, dont on peut à juste titre considérer qu’ils sont parmi les ambassadeurs du meilleur hédonisme italien. Et à se promener dans cette belle campagne, où une méticulosité élégante semble élevée au rang de valeur morale, on n’en doute pas.
Trésors de Montalcino
Montalcino est un village du val d’Orcia, dans la province de Sienne : murailles, forteresse, Palazzo dei Priori, le patrimoine médiéval est de valeur. À partir du cépage brunello, dérivé du sangiovese, on vinifie ici un rouge de garde qui a tranché, dans les années 1870, avec la production traditionnelle (qui se lampait jeune et pétillante). Le Brunello di Montalcino a fait son chemin depuis et passe pour l’un des fleurons vinicole non seulement de la Toscane, mais de l’Italie. On le boit avec les viandes riches et savoureuses qu’affectionne la région. Les saveurs de sous-bois lui conviennent. C’est une force de l’art et de la nature qui a ses finesses et son aménité. En furetant dans le vignoble, on trouve aussi des rouges plus extravertis, des rosés et des blancs, dont le traditionnel Moscadello di Montalcino, un vin de dessert issu du cépage moscato bianco. La route des vins fait ici des tours et des détours, des circonvolutions dans lesquelles il est délicieux de se perdre.
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Un vin pour les seigneurs
Les Anglais qui sont, il faut s’en féliciter, des buveurs éclairés et ont à ce titre beaucoup fait pour les ceps à travers toute l’Europe, venaient en Toscane au XVIIe siècle acheter du Moscadello di Montalcino et du Vino nobile di Montepulciano. Ce n’est pas d’hier que l’on prend la route des vins. Et il devient patent que si Florence s’est peu ou prou approprié le chianti, Sienne a su tirer profit des caractéristiques propres à son territoire pour développer ce qu’aujourd’hui on appellerait un pôle d’excellence. En tout cas, le Nobile est un grand rouge. Trois quarts de sangiovese, un bon peu de canaiolo et quelques autres grains locaux en font la
matière. Autour, ce sont sols gréseux, traditions vigneronnes, innovation, maturation, enfin tout ce qui permet de passer de jus de raisin à nectar. Montepulciano se trouve à une petite soixantaine de kilomètres au sud-est de Sienne et il n’est point désagréable de faire la route jusqu’à l’ancien établissement étrusque. Des édifices nombreux rappellent combien fut brillante la Renaissance italienne, combien aussi elle fut bagarreuse et combien elle fut, ici, catholique. De ce dernier aspect, la Chiesa di San Bagio, est une illustration éloquente. Elle est due à la virtuosité d’Antonio da Sangallo l’Ancien, par ailleurs l’un des artisans du renouvellement de l’art de la fortification.
Un méconnu connu
Allons, on a peut-être semblé minorer le pôle florentin dans la répartition des meilleurs vins toscans. Et faire la part belle à Sienne. Réparons. Carmignano se trouve à une quinzaine de kilomètres au nord-ouest de Florence. La réputation de ses vins est antique et leur excellence inférée des efforts consentis, au début du XVIIIe siècle, par le grand-duc Cosme III pour en délimiter la zone de production. Préciser, c’est lutter contre les contrefaçons et les étiquettes abusives. Vous ne vous donnez cette peine que pour le meilleur. On vous laisse découvrir les qualités de la viniculture de Prato : les vignerons font déguster et les cavistes vendent. Élégance, structure ferme, tannins doux sont assez caractéristiques des rouges de Carmignano. Ils vont aux viandes comme à leur port d’attache, mais leur force et leur teneur alcoolique incitent à les essayer aux saveurs ultramarines. À les mettre en cellier aussi. On vous engage à vous enquérir de la réouverture du musée de la vigne et du vin. Cette louable institution proposant un parcours très complet, relatif non seulement à la vitis, mais aussi à la civilisation qu’elle a suscité en Toscane. L’aggiornamento muséal devrait rendre le propos encore plus éloquent.
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Les Super Toscans
Ici, on entre dans un débat et dans l’ombre de l’influent critique américain Robert Parker. Le débat, c’est celui que provoque fatalement le cahier des charges des dénominations : si elles ont le mérite de fixer les choses, ces dernières ont aussi le démérite de les fixer. Chaque médaille a son revers. L’affaire n’est pas seulement italienne. Quoi qu’il en soit, certains vignerons toscans se sont lassés de respecter des normes qui, pour utiles qu’elles soient, n’en sont pas moins responsables d’une certaine standardisation. Il s’en sont dès lors dégagés. Et ont, notamment, associé leur sangiovese au cabernet sauvignon, au cabernet franc ou au merlot. Ces vins de facto hors appellation ont, du coup, rencontré les options défendues par Robert Parker, qui a assis leur réputation. Les Super Toscans étaient nés. Leur berceau étant à Bolgheri, commune littorale à l’ouest de Sienne, chez le marquis Mario Incisa della Rocchetta. Au début des années 1940. Le cabernet sauvignon Sassicaia de la Tenuta San Guido, aujourd’hui DOC (Denominazione di origine controllata), fut un pionnier. D’autres se sont engouffrés dans la brèche à partir des années 70. Le Tignanello de la maison Antimori appartient lui aussi à cet archipel vinicole. Il est de San Casciano in Val di Pesa, au sud de Florence. 80% sangiovese, 15% cabernet sauvignon, 5% cabernet franc. À Bolgheri encore, l’Ornellaia du domaine Ornellaia e Masseto lorgne fort du côté de Bordeaux, avec cabernet sauvignon, merlot, cabernet franc et petit verdot dans des proportions tout à fait girondines. Et ce ne sont que trois exemples saillants.
Continuer la route
En tout, il y a onze DOCG en Toscane. En plus de celles citées, on peut évoquer par exemple l’Aleatico Passito dell’Elba, le Montecucco Sangiovese, le Morellino di Scansano ou le Rosso della Val di Cornia. Tous ces vins méritent qu’on y mette le nez. Et on ne parle même pas de la ribambelle de DOC. En fait, où que vous soyez en Toscane, le vignoble n’est jamais loin. Ni les plaisirs qui vont avec : la table, le conversation, le bon moment partagé, l’heureuse humeur. Il y a d’autres routes des vins en Italie. On songe aux flamboyants domaines sardes, pour ne citer qu’eux. Cependant, nulle part ailleurs qu’en Toscane, la polysémie de goût n’est si pleine et complète. Pour le vin comme pour le reste.
Malte Jaeger / LAIF-REA
Par
EMMANUEL BOUTAN
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