Terres de feu et d’océan, Lanzarote et Tenerife semblent être deux incarnations distinctes du même souffle tellurique. Toutes deux sculptées par la fureur des volcans, elles offrent au voyageur un tableau contrasté où nature, histoire et culture tissent un canevas d’une richesse inépuisable. Lanzarote est une ode au silence minéral, un poème écrit en cendres et en lumière ; Tenerife, luxuriante et montagneuse, est une symphonie foisonnante où se mêlent montagnes, forêts et cités animées. Dans ce duel insulaire, où les paysages lunaires côtoient l’exubérance tropicale, chacune révèle une âme singulière.
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Fééries minérales et végétales
Si les îles Canaries doivent leur existence aux profondeurs ardentes de la Terre, Lanzarote et Tenerife illustrent à merveille deux visages de la puissance volcanique. Lanzarote, l’île du feu, est un poème minéral où le noir basaltique des champs de lave contraste avec l’ocre des cendres volcaniques et le blanc éclatant des maisons traditionnelles. Le parc national de Timanfaya, témoin des colères du XVIIIe siècle, rappelle les reliefs arides et mystérieux de Mars. Ses vastes étendues de lave figée, ponctuées de cratères béants et de teintes rougeoyantes, dessinent un paysage saisissant. En novembre et décembre, lorsque la fraîcheur du vent tempère l’ardeur du soleil, chaque randonnée se transforme en une immersion captivante empreinte de mystère.
Tenerife, quant à elle, est dominée par l’imposant Teide, toit de l’Espagne et titan volcanique de 3 175 mètres. Son parc national, classé au patrimoine mondial de l’Unesco, est un monde à part, où les formations rocheuses défiant la gravité se dressent comme des gardiens d’une époque révolue. Quand la nuit tombe et que les lumières s’effacent, la voûte céleste se dévoile dans toute sa majesté, tissant une fresque d’étoiles où la voie lactée semble effleurer la Terre. Contempler les étoiles depuis les sommets du Teide, c’est toucher du regard l’éternité et communier avec l’univers et l’immensité cosmique. Plus au nord, dans un tout autre registre, Tenerife surprend par sa luxuriance : la forêt de lauriers du parc d’Anaga, vestige de l’ère tertiaire, déploie un univers féérique d’une rare densité végétale. Randonner en famille à travers les sentiers brumeux, au cœur de ce sanctuaire végétal, c’est entrer dans un tableau vivant où chaque feuille semble retenir l’écho d’un temps oublié.
Carlota Weber Mazuecos
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Plages de feu ou plages de fée ?
À Lanzarote, les plages ne se contentent pas d’être belles, elles racontent des légendes gravées dans la lave et le vent. Véritable joyau doré, Playa de Papagayo somnole entre des falaises sculptées par les colères anciennes de la Terre. Le matin, on s’y prélasse dans une langueur dorée, bercé par le murmure du ressac. Mais gare à l’après-midi, lorsque le soleil, jaloux, dore les peaux avec un excès de passion. Pour les rêveurs en quête de solitude et de silence, il suffit de marcher un peu et voici des criques secrètes, où seuls quelques crabes indiscrets s’invitent à la contemplation. Devant, un horizon infini ; derrière, une muraille de falaises rouges qui semblent tout droit sorties d’un western aquatique. Mais Lanzarote n’a pas qu’un seul visage. Un peu plus loin, à Famara, c’est une tout autre histoire qui s’écrit sur le sable : le vent est roi, la vague est reine et les surfeurs sont leurs chevaliers qui défient les lames de l’Atlantique dans une danse effrénée. De décembre à février, lorsque les vents se déchaînent, le rivage devient un opéra grandiose où chaque vague explose comme une réplique de tragédie grecque.
Plus grande, plus capricieuse, plus théâtrale, Tenerife ne se contente pas d’offrir des plages, elle les décline comme une collection haute couture. Playa de las Teresitas, élégante et apprêtée, s’étire sous les caresses du soleil, drapée dans son sable blond importé du Sahara – une coquetterie qui la distingue de ses sœurs plus brutes. Ici, on bronze avec grâce entre deux baignades paresseuses, et l’on sirote un jus de papaye en regardant les pêcheurs ramender leurs filets. À l’opposé, Playa del Bollullo refuse toute domestication. Cachée derrière des champs de bananiers, elle se mérite comme un trésor perdu. Son sable noir joue les braises en été tandis que ses vagues, jamais totalement apprivoisées, rappellent que l’Atlantique n’a rien d’un lagon docile. Mais c’est Benijo qui vole la vedette, avec son allure de bout du monde. Là-bas, les falaises se jettent dans la mer comme des titans tombés du ciel et l’écume danse autour des rochers noirs, vestiges d’un passé volcanique tumultueux.
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Au cœur des âmes canariennes
Poète du minéral, César Manrique a façonné Lanzarote comme une œuvre vivante, refusant le béton au profit d’une esthétique où l’homme ne fait qu’un avec la roche et le vent. Les Jameos del Agua, sanctuaire creusé dans la lave, et la Fundación Manrique, écrin de lumière et de silence, témoignent de cet amour fusionnel entre l’artiste et son île. Ici, chaque village, chaque maison blanche contrastant avec le noir du sol volcanique, est un hommage à cette quête d’équilibre. Mais Lanzarote, ce n’est pas seulement une terre modelée par l’art ; c’est aussi un bastion de souvenir, où les récits de corsaires et d’explorateurs se mêlent aux légendes des pêcheurs Guanches. En famille, en mars ou en novembre, il suffit d’arpenter ces lieux pour ressentir l’âme insaisissable de l’île.
Plus vibrante, plus foisonnante, Tenerife est une île où le passé colonial se lit dans les ruelles pavées de La Laguna, ville figée dans le temps, où les palais aristocratiques côtoient les églises séculaires. Héritage de la conquête espagnole, elle fut autrefois un carrefour où se croisaient marins, marchands et missionnaires en partance pour le Nouveau Monde. Mais c’est au rythme enfiévré du carnaval de Santa Cruz, de fin janvier à début mars, que Tenerife dévoile son âme la plus éclatante. Féérie exubérante rivalisant avec Rio, l’évènement embrase l’île dans un tourbillon de musique et de lumière. Les murgas scandent leur satire effervescente, les costumes flamboyants rivalisent d’éclat avec les feux de la nuit et la Reine du Carnaval, souveraine éphémère, règne sur un flot de danseurs exaltés. Si les conquistadors ont marqué de leur empreinte les façades des villes, c’est désormais sur les pulsations de la salsa et sous l’explosion chromatique du carnaval que Tenerife affirme son identité, vibrante et indomptable.
Mathias Reding/Unsplash
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À la table des volcans
Sur l’île de Lanzarote où la vie semble parfois suspendue, la gastronomie est une leçon de simplicité et d’excellence. La terre aride et volcanique façonne une cuisine à l’image de son paysage : brute, authentique et empreinte de caractère. Les papas arrugadas, petites pommes de terre ridées, se savourent avec un mojo verde ou un mojo rojo relevé d’ail, de piment et de coriandre. Les poissons fraîchement pêchés, comme le cherne ou la vieille, sont grillés et servis avec un filet d’huile d’olive locale, rappelant que l’océan est ici aussi généreux que la terre. Mais la plus belle surprise se cache dans les vignes lunaires de La Geria où les ceps, protégés par des cratères de pierre, produisent des vins de Malvasia dont la minéralité est une ode au volcan. En avril, lorsque les vignobles reverdissent sous la brise marine, une dégustation devient un voyage sensoriel, où chaque gorgée raconte l’histoire de l’île canarienne.
Si Lanzarote cultive l’épure, Tenerife célèbre la diversité, tant dans ses paysages que dans ses assiettes. Les marchés y regorgent de fromages de l’Anaga, de miel de Tajinaste, de vieja fraîchement pêché et grillé sur des braises ardentes. Les fruits tropicaux ajoutent une touche d’exotisme, des goyaves aux avocats, sans oublier les célèbres bananes des Canaries, douces et sucrées. Dans les guachinches, ces tavernes traditionnelles où le vin coule à flots, les saveurs explosent en mille nuances, entre influences espagnoles, africaines et latino-américaines. Ici, on mange avec le cœur, dans une atmosphère conviviale où le partage est roi. Un simple plat de carne fiesta ou de lapin au salmorejo canarien devient une expérience mémorable. Et puis, il y a ces bananes flambées au rhum, gourmandise emblématique qui rappelle que Tenerife est un carrefour de cultures et de plaisirs.
Gunnar Knechtel/LAIF/REA
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Le chant des sirènes
Bercées par les flots indomptables de l’Atlantique, Lanzarote et Tenerife se dressent comme des sanctuaires marins, où les amateurs de grand bleu naviguent entre exploration fascinante, montées d’adrénaline et instants de pure contemplation. À Lanzarote, les fonds marins volcaniques invitent à pénétrer dans un univers préservé. Les eaux cristallines de Papagayo sont idéales pour le snorkeling, révélant des bancs de poissons colorés évoluant entre les roches basaltiques. Au large de Playa Blanca, la plongée promet une immersion singulière, entre musée subaquatique, grottes immergées, tunnels de lave et navires engloutis. Les plus aventureux s’élanceront sur les vagues de Famara, haut lieu du surf et du kitesurf, où les rouleaux atlantiques viennent s’écraser sur un décor de falaises ocre. Pour une exploration plus douce, le kayak le long des côtes escarpées permet d’accéder à des criques et des grottes secrètes.
À Tenerife, l’océan est un théâtre où la nature offre ses plus beaux spectacles. Au large de Los Gigantes, les eaux profondes servent de refuge aux baleines pilotes et aux dauphins qui évoluent en liberté – une rencontre magique à bord d’un bateau ou d’un kayak. Pour les amateurs de sensations fortes, le sud de l’île est un terrain de jeu idéal pour le surf, le windsurf et le kitesurf, notamment à El Médano, où le souffle des alizés ne s’essouffle jamais. La plongée dévoile des paysages sous-marins fascinants, des épaves dissimulées aux arches de lave du site d’El Puertito – les plus chanceux pourront y croiser des tortues marines. Pour une expérience insolite, les piscines naturelles de Garachico et de Bajamar garantissent une baignade au plus près des forces de l’Atlantique, dans des bassins sculptés par d’anciennes coulées de lave. Et lorsque la chaleur se fait sentir, les eaux turquoise de l’île invitent à une simple mais inoubliable baignade, là où l’horizon se confond avec l’infini.
Entre Lanzarote et Tenerife, le voyageur est comme un funambule hésitant entre lave figée et nature exubérante. Mais trancher serait une hérésie : les Canaries sont un buffet volcanique où l'on picore selon l’humeur du jour. Alors, pourquoi choisir quand on peut être tour à tour astronaute sur les terres martiennes de Lanzarote et corsaire égaré sur les côtes sauvages de Tenerife ?
Par
JÉRÔME CARTEGINI
Photographie de couverture : Andrane de Berry, Mike Marchetti/Pexels