Dès Louis Lumière et L'Arrivée d'un train en gare de La Ciotat (1896), cinéma et voyage se sont intimement liés. Depuis sa genèse donc, le 7ème art montre le monde et entraîne le spectateur dans un voyage que l’on croit – à tort – statique. Une immobilité éphémère car après avoir visionné les films ci-après, l’envie d’arpenter les ruelles du Testaccio, d’embarquer pour Pondichéry ou de rouler cheveux au vent à travers l’Ouest américain ne tarde pas à se faire ressentir.
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Inde du Sud : L’Odyssée de Pi
Heureux qui, comme Pi, a fait un beau voyage. Cette odyssée homérique des temps modernes se veut au moins aussi fantaisiste que celle d’Ulysse en son temps mythologique. Alors certes, l’essentiel de l’intrigue de L’Odyssée de Pi se déroule sur un canot de sauvetage au milieu du Pacifique en compagnie d’un tigre du Bengale. Mais, avant cela, le jeune Pi passe une enfance douce-amère à Pondichéry, dans la région du Tamil Nadu. De par son véritable et improbable nom, « Piscine Molitor », notre héros rappelle les liens coloniaux entre la France du XVIIIe siècle et cette partie de l’Inde. Le quartier « blanc » de Pondichéry conserve d’ailleurs une conséquente trace patrimoniale de cet héritage pas si lointain. Vous y serez autant fasciné que dans le quartier « noir » aux traits et à l’ambiance tamouls. Gageons que votre odyssée en Inde du Sud sera plus douce et colorée que celle de l’Oscar du meilleur film 2013.
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Égypte : Mort sur le Nil
Paru en 1937, le best-seller d’Agatha Christie Death on the Nile a connu deux adaptations cinématographiques, l’une en 1978 et l’autre en 2022. Habitué à vivre de formidables intrigues, le lecteur ou ici le spectateur de la romancière britannique est cette fois-ci embarqué sur un bateau à vapeur voguant sur le Nil, en Égypte. Ce navire, le Steam Ship Sudan, a réellement été emprunté par Christie et son mari lors d’un séjour en 1934, et se fait aisément une place parmi les personnages principaux de l’histoire. Mythique embarcation construite par Thomas Cook et mise en service en 1885, le SS Sudan demeure le plus ancien bateau à vapeur reliant Assouan à Louxor et inversement. Le film, notamment celui de 2022 qui montre le navire sous ses traits les plus rénovés, permet de découvrir son raffinement, son esthétique intacte et ses chambres d’un grand confort. Et si l’intrigue est celle d’une enquête aux multiples suspicions, l’on y vit une aventure absolument unique au rythme du Nil, de sa lumière et de ses vestiges antiques.
Boby
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Mexique : Roma
Chef-d’œuvre bichromique à l’esthétique soignée, Roma rend hommage à ce quartier éponyme de l’ouest de Mexico. Son réalisateur, Alfonso Cuarón, y narre une partie de son enfance dans le Mexique des années 1970. Au-delà de son destin autobiographique qui rappelle que nous sommes la somme de nos souvenirs, c’est bien la portée universelle du scénario qui fait décoller le film. Cette ode à la résilience des femmes laissées seules par la lâcheté des hommes est aussi un hymne à la famille. Celle du sang et celle du cœur. Une déclaration d’amour à ce quartier de Colonia Roma qui, après un certain déclassement, connaît aujourd’hui un renouveau créatif porté par une gentrification inhérente à toutes les grandes villes du globe. L’on y découvre de nos jours un patrimoine architectural Art nouveau et néoclassique servant de décor à une énergie fantastique incarnée par des restaurants, bars et autres lieux culturels. Si nous sommes la somme de nos souvenirs, un voyage au Mexique représente un bien heureux sédiment mémoriel.
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Japon : Lost in Translation
Tokyo, la nuit. Deux Américains insomniaques errent dans leur hôtel de luxe, en quête de sens. Avec ce sentiment étrange d’être autant étranger à sa propre vie qu’au pays que l’on visite. Le deuxième film de Sofia Coppola, en partie autobiographique, évoque les sensations bouleversantes qui traversent parfois le voyageur à l’autre bout du monde et montre à quel point partir demeure une formidable remise en question. Outre Bill Murray et Scarlett Johansson, Tokyo tient une place prépondérante dans ce duo au romantisme moucheté. On la découvre de nuit, à l’arrière d’un taxi. Ses soirées, ses karaokés, ses lumières intenses. Mais aussi sa culture plus profonde, si unique, si étrangère au monde occidental. Sans comprendre, on l’observe, fasciné. Parfois, l’observation se passe de traduction.
Pia Riverola
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Italie : Il reste encore demain
Il y a mille raisons de visiter Rome. Et si ce n’est pas aujourd’hui, il reste encore demain. Le film de Paola Cortellesi donne une raison de plus d’arpenter cette cité unique. Davantage encore qu’un drame social sur l’après-guerre en Italie, Il reste encore demain est une ode féministe puissante, où l’amour maternel et la sororité comptent autant que la Grande Histoire italienne. Tourné dans le quartier du Testaccio comme dans les mythiques Studios de la Cinecittà, C'è ancora domani présente une Rome en noir et blanc et se veut par là même un hommage au cinéma néoréaliste italien. Ville bouillonnante mais cœur du pouvoir central, capitale d’un pays encore fortement régionalisé, Rome joue l’équilibriste entre les Italiens et les siècles. Et s’il reste encore demain, il n’y a définitivement qu’une Rome.
6
Kenya : Out of Africa
L’expression « Out of Africa, always something new » (« L’Afrique produit toujours quelque chose de nouveau ») rapportée par Pline l’Ancien, historien romain du Ier siècle, évoque cette foisonnante source de vie que demeure l’Afrique depuis des millénaires. Et quand il ne s’agit pas d’espèces nouvelles, il est question d’amour, de l’autre et de soi-même. Le chef-d’œuvre de Sydney Pollack évoque à la fois la passion palpable entre les personnages incarnés par Robert Redford et Meryl Streep, et celle de ces mêmes personnages pour l’Afrique en général et le Kenya en particulier. C’est dans ce vaste et fantastique pays d’Afrique de l’Est que nous emmène la caméra. Et si l’intrigue se déroule au tournant de la Première Guerre mondiale, ses paysages grandioses, sa faune iconique et son énergie nouvelle se laissent encore et toujours découvrir de nos jours.
Nuria Val
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Turquie : Mustang
Un vent de liberté souffle sur les rives de la mer Noire, aux confins septentrionaux de la Turquie. Une liberté dont le prix est encore à fixer pour ces cinq filles – cinq sœurs, cinq orphelines – qui vivent et courent ensemble, indomptables, telles un troupeau de Mustang. Le film de Deniz Gamze Ergüven, la réalisatrice franco-turque, se veut lui aussi une ode à la liberté. La déclaration d’indépendance de cinq jeunes filles qui vivent sous le joug des hommes, de leur oncle puritain aux prétendants qu’on leur fait épouser. Le petit village côtier, sa plage et ses rues, sont le théâtre de ce drame puissant et malheureusement si prégnant. La complicité des sœurs, leur beauté solaire comme celle des environs infusent cette œuvre marquante qui n’est pas sans rappeler The Virgin Suicides, sur les bords de la mer Noire.
8
États-Unis : Thelma & Louise
Œuvre puissante et emblématique devenue un classique du cinéma américain, Thelma & Louise raconte une Amérique arc-boutée sur ses vieux préceptes paternalistes. Ce road movie est davantage une quête qu’une cavale. Une quête de liberté pour les deux héroïnes, bien décidées à s’affranchir de l’emprise des hommes néfastes, ceux du passé et ceux du présent. Si le film a fait date, par son sujet, son casting et son esthétique, il a également soulevé une irrémédiable envie de road trip en décapotable. À l’écran, le spectateur est embarqué sur les superbes routes de l’Arkansas, de l’Oklahoma et de l’Arizona. En réalité, le film a été tourné en grande partie en Utah et notamment la scène finale du « Grand Canyon » captée à Dead Horse Point, près de Moab. Peu importe finalement, tant les paysages des États-Unis demeurent profondément cinématographiques.
Kate Berry
9
Nouvelle-Zélande : La Leçon de piano
Impossible d’oublier l’aura mystérieuse de la plage de Karekare après avoir visionné La Leçon de piano. L’étendue de sable brun, tenue entre la houle puissante de la mer de Tasman et les falaises abruptes de l’Île du Nord de Nouvelle-Zélande, présente le point d’entrée et de conclusion de cette œuvre formidable signée Jane Campion. À travers le destin silencieux d’Ada, la mutique héroïne écossaise venue se marier à un colon inconnu par la volonté de son père, le spectateur arpente la dense végétation de ce bout du monde parfois inhospitalier, se rapproche des peuples autochtones, se lie en musique à ce pays comme Ada se laisser nouer à son piano durant l’une des dernières scènes du film. Alors on plonge dans ce décor comme dans cette histoire d’amour improbable avant de remonter à la surface pour reprendre son souffle.
10
Indonésie : Mange, prie, aime
Il est de plus désagréables injonctions que ce Mange, prie, aime de Ryan Murphy. Regroupant Julia Roberts, Javier Bardem et James Franco, il est aussi des castings moins réussis. Si ce n’est pas suffisant pour en faire un chef-d’œuvre, le film a pour mérite de dépeindre avec tendresse une curieuse étape de l’existence : changer de vie. Après un séjour italien où elle retrouve l’appétit de vivre, puis une expérience spirituelle indienne, Liz débarque à Bali pour y trouver la paix et enfin l’amour. Partie pour réenchanter sa vie, notre héroïne profite de l’abondance verte des paysages balinais, d’un littoral marin avantageux et d’une culture aussi douce qu’exaltante pour faire le plein de bonheur. De quoi inspirer bien des voyageurs.
Par
OLIVIER ESTEBAN
Photographie de couverture : Brian Chorski