Malte

Malte, archipel solaire

Malte, archipel solaire

Posée entre deux rives, là où l’Europe et l’Afrique se frôlent, Malte est d’Orient et d’Occident, feu africain du sirocco et ombre fraîche du baroque. Les Romains y ont laissé des thermes et des villas, les Arabes ont légué langue et art de vivre, et les moines-soldats, chevaliers de l’ordre de Jérusalem, ont édifié les fortifications, les églises et les palais. D’un rocher, ils ont fait un royaume.

 

La Valette, fortifiée de la mer jusqu’au ciel, se déploie en ocre entre le bleu du ciel et le bleu de la mer. Ville blonde comme la pierre avec laquelle les chevaliers ont dressé les fortifications pour se défendre des Turcs, les résidences baroques pour se souvenir de l’Europe latine, les églises pour colporter la parole chrétienne. Ville construite par des gentilshommes pour des gentilshommes : palais, maisons, églises, pas un mur, pas une porte, pas une fenêtre qui ne soit sculptée et ornée – chaque rue est un musée. Ville toute en montées et en descentes, petite San Francisco ouverte sur la mer. Ocre, partout où se pose le regard. Et le bleu très bleu de la mer. Des bow-windows colorés, rouge vermillon, bleu outremer, blanc pétillant – dont on ne sait s’ils sont ici d’inspiration turque ou britannique –, des balcons de fer forgés débordant de plantes vertes, du linge aux fenêtres, des paniers jetés des étages et remontés par une corde au passage du boulanger, des chats alanguis aux portes des maisons – et, trois chaises posées devant un pas de porte, des hommes discutent en fumant. Des rues coupées au cordeau qui contrastent avec le découpage capricieux du grand port, ruelles interlopes qui débouchent sur la rade, ses cales sèches, ses silos, ses cargos. Et la cathédrale Saint-Jean – son sol de pierres tombales – celles des chevaliers, ils sont quatre cents, enterrés là, dans la nef – incrustées de marbres polychromes, et rehaussées de lapis-lazuli, une forêt de symboles en épitaphes : anges et rameaux d’olivier, dauphins et coquilles Saint-Jacques ; et, niché dans un petit oratoire, un tableau du Caravage, La décapitation de Saint-Jean.

Fort Saint-Elme

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Les trois cités : Vittoriosa, Cospicua et Senglea se serrent sur des langues de roche, face au port de La Valette. Volée d’escaliers et ruelles pentues où les voitures ne s’aventurent pas, éclats rouges des bougainvilliers, coulées vertes des treilles, flaques de soleil qui éclaboussent les pavés, et des églises partout. Alignement bas des anciens entrepôts, maisons étroites, terrasses des gargotes qui lèchent l’eau des criques. A la nuit tombée, des barbecues improvisés sur les rochers plats, dont les feux illuminent le rivage : chaque soir les Maltais se donnent rendez-vous au bord de la mer, aux terrasses des cabanons, sur les falaises. Et des pêcheurs solitaires accrochés à leurs lignes.

Au petit port de Marsaxlokk, les barques multicolores, ornées des yeux d’Osiris, la protectrice des pêcheurs. Un déjeuner sur le port, perfection d’une tartine de tomate fraiche et d’ail, simple, évident, délicieux, et d’un fromage frais de brebis.

Un peu plus loin, au coeur de l’île, la cité silencieuse de Mdina somnole sur son piton rocheux. C’est une succession de petites places pareilles à des décors de théâtre, des façades baroques, des labyrinthes de ruelles tortueuses où s’engouffre le vent, et partout, des figuiers de Barbarie. De là, un inouï panorama sur l’île, sur une campagne africaine, terre brûlée par le soleil et villes horizontales, petites maisons cubiques serrées les unes contre les autres.

Sur les quais – anciens docks à huile d’olive et à vin – le ferry pour « l’autre île de Malte », Gozo. Champs d’argile rouge bordés de pierres blondes qui s’accrochent au flanc des collines, vignes et palmeraies. Vert intense des cultures en terrasse, cernées de murs de pierre sèche. De minuscules villages – maisons cubiques là aussi, deux étages, un toit plat pour la terrasse, qui se blottissent autour de grandioses églises aux airs de cathédrale. Un peu plus loin, le paysage des salines de Qbajjar, un damier dessiné par le temps, parallélépipèdes et rigoles, brillance du sel, entre le bleu intense de la mer et les falaises de sable, creusées d’habitations troglodytes.  Un petit port, une jetée ronde, dix barques. Une crique. Et la mer, limpide et transparente, à peine ridée par la houle, et fraiche, à l’ombre des grandes falaises.

 

Photographie de couverture : Mirko/fotolia.com