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Olivier Roellinger, magicien au long cours

Olivier Roellinger, magicien au long cours

Il fut longtemps un voyageur immobile, nourri de littérature marine, bercé de rêves, sur la trace des grands navigateurs malouins et de la Compagnie des Indes. Olivier Roellinger accomplit aujourd’hui son destin, sillonnant le monde à la rencontre des épices et de ceux qui les récoltent.  Insatiable alchimiste, humaniste convaincu, il fait  de la planète son jardin.


Il appartient à cette race de personnages solaires qui exercent une incontrôlable force d’attraction. Vous passez prendre Olivier Roellinger dans son “entrepôt” d’épices - coffres de bois, poudres mystérieuses, kermesse de parfums, vanilles, poivres, cardamomes - il est déjà agrippé par une dame en manteau de ragondin, quémandeuse de conseils et proche de la transe. Vous l’emmenez déjeuner dans une brasserie parisienne, la serveuse tremble en débarrassant son assiette, balbutiant un “c’est un tel honneur de vous servir, chef”, tandis qu’un cuisinier rougissant vient lui raconter s’être lancé dans le métier après un repas familial aux Maisons de Bricourt. Le chef prend son temps, complimente, chez lui la gentillesse n’est pas un concept démodé.

Pour l’interviewer tranquillement, il faudrait lui imposer des lunettes noires, ou plutôt une perruque, tant cette coupe de premier communiant qui n’a pas varié d’un cheveu depuis ses photos d’enfance, fier comme Artaban à la barre de son voilier, lui donne distinctivement ce petit air Jean-Pierre Léaud époque Nouvelle Vague… Chef ? Plus seulement. Celui qui vient de passer vent debout le cap des soixante ans a déjà vécu plusieurs vies. L’histoire, on la connaît, puisqu’après des années de discrétion, l’homme a choisi de témoigner pour aider d’autres victimes : au printemps 1976, alors qu’il se prépare à être ingénieur chimiste, sa vie bascule. Agression aveugle un soir à Saint-Malo, un an d’hôpital, un autre de convalescence, un nouveau regard sur le monde. À l’aube de sa vie d’adulte, l’étudiant change de cour et franchit la porte de la cuisine. Il n’en sortira que trente ans plus tard, imposant un nouveau virage à la malouinière cancalaise du XVIIIe siècle qui l’a vu naître. Trois étoiles pêchées au Michelin : du miel pour ses plaies mais du plomb pour ses jambes. En 2008, le chef qui a érigé au rang d’art la cuisine marine et potagère de sa Bretagne, change une nouvelle fois de cap. Les épices l’ont enivré, enfant, dans l’épicerie de son grand-père, il en a retrouvé la trace, enchanté ses créations, il va désormais les partager plus largement.

Il passera six mois à Cancale pour gérer restaurant, Relais & Châteaux, gîtes, boutiques et autre école de cuisine. Avec 95 personnes qu’il nomme son “équipage” comme avant lui dans leurs aventures Jacques Cartier ou René Duguay-Trouin. Les six autres mois, il voyagera avec Jane, la femme de sa vie, sur la piste de ces poudres parfumées qui gonflaient les cales des bateaux de la Compagnie des Indes. À ce jour, il a déniché 3000 producteurs, avec lesquels il entretient un commerce “équitable”, sans le proclamer. “Je n’ai pas envie d’utiliser cette étiquette comme argument de vente. Je préfère acheter leur production beaucoup plus cher que les traders pour leur permettre de vivre…” Résultat, les paysans n’hésitent pas à remettre en culture pour cet amoureux des graines rares, comme ce poivre Jeerakarimundi découvert par Marco Polo… “Je me sens plus utile aujourd’hui que lorsque je pilotais un restaurant 3*.”

Ne lui demandez pas quel est son pays le plus cher, ses amours sont généreuses. “Mon cœur est à Madagascar ; je suis fou du Brésil ; j’ai gardé des souvenirs poignants du désert du Thar, à la frontière du Pakistan et du Rajasthan ; je suis amoureux du peuple birman qui ne parle pas et qui sourit ; je fonds pour la cuisine vietnamienne, la plus légère au monde, les soupes servies à Hanoï m’ont touché par leur pureté.” Avec les épices pour seule boussole, Olivier Roellinger s’impose des feuilles de route un peu particulières… “Je suis capable de passer un long séjour au Mexique sans visiter un temple ni apercevoir la mer” s’amuse-t-il, avouant être “épouvantable” pour ceux qui l’accompagnent. “Je pars souvent avec mon ami Michel Bras, et nos deux épouses Jane et Ginette se moquent de nos rites obsessionnels. Nous les forçons à se lever à l’aube pour écumer les marchés. C’est merveilleux un marché, il faut y venir tôt, à l’heure où arrivent les vendeurs, où voltigent les cageots et roulent les brouettes, puis revenir plusieurs jours de suite si l’on veut être adopté et invité à goûter… C’est ainsi que j’ai tissé le fil avec ceux qui cultivent pour moi les meilleures épices.” Sa plus belle émotion gustative ? “Un oursin dégusté aux Caraïbes, cuit d’une manière très particulière, couche de corail par couche de corail au contact d’un feu de bois.” À l’écouter décrire l’acidulé du trait de lime, la vivacité de la pincée de piment, le fumé de la chair, vous fonceriez tout droit prendre un billet pour La Dominique…

Partir donc, mais revenir, toujours. L’alpha et l’oméga de sa vie. “Cette Maison du Voyageur où j’ai été élevé reste mon point d’ancrage, ma demeure philosophale. Je suis comme un bernard-l’hermite, j’ai besoin de retrouver ma coquille et surtout je crois à la mémoire des murs !” C’est donc sous l’œil du fantôme de Surcouf, qui fréquenta les lieux, que le cuisinier-voyageur réceptionne les épices pour les assembler, comme on le ferait pour un vin ou un parfum, après qu’elles aient été sur place séchées, étuvées, torréfiées, broyées… “Aujourd’hui, je peux créer un mélange par écrit, comme un musicien compose de tête.” Une pincée de “Poudre du Tonkin”, de “Rêve de Cochin” ou de “Curry Corsaire”… et le cuisinier du dimanche frôle le génie. Et s’il ne restait qu’un seul voyage à faire ? “Ce serait l’Égypte, berceau de tout, pays de la symétrie entre la vie et la mort… J’aimerais embarquer à nouveau sur le Steam Ship Sudan et me laisser bercer par la musique du moteur en regardant défiler les berges du Nil.”

Et Dieu dans tout ça ? “Je crois aux fées !” Olivier Roellinger n’a pas seulement gardé sa coupe de cheveux, il a aussi conservé son âme d’enfant.

 

Votre lien avec Voyageurs du Monde ?

Au-delà du lien d’amitié, nous partageons la curiosité des autres, une vision du monde comme d’un grand village avec différents quartiers, source de diversité et richesse.

 

Votre histoire commune en  trois souvenirs ?

Je me rappelle cette équipée dans les collines du Wayanad, au nord du Kerala, à la rencontre des paysans qui travaillent toujours de façon traditionnelle de somptueuses plantations de poivre, de cardamome ou de curcuma. C’est Voyageurs du Monde qui avait organisé ce périple pour moi.

Cet autre fabuleux séjour au Brésil lorsque je préparais mon livre Trois étoiles de mer, et de Bahia, la ville la plus sensuelle de la planète, grande ville noire en dehors de l’Afrique.

 

En 2011, l’inauguration de l’Atelier des Épices (N.D.L.R. son antre parisien situé au 51 bis rue Sainte-Anne dans le deuxième arrondissement). J’hésitais sur l’emplacement à choisir pour implanter cette adresse lorsque Jean-François Rial m’a proposé cette boutique voisine de Voyageurs du Monde. S’installer à côté d’un copain, c’était ça la bonne idée !

 

"Mon cœur est à Madagascar ; je suis fou du Brésil ; je suis amoureux du peuple  birman qui ne parle pas et qui sourit “

Olivier Roellinger

 

Par

GENEVIEVE BRUNET