Mystiques Marquises aux airs de Jurassique. Une houle lourde et profonde vient déferler contre leurs falaises élevées et sur leurs grandes plages de sable noir. Ces îles brutes, dépourvues de lagons, sont couvertes de végétation jusqu’au plus haut de leurs sommets. Leur puissance tellurique saisit aux premiers pas.
Le relief est heurté, tourmenté, mais émoussé par une généreuse et puissante nature qui se déploie, verte et épaisse, jusque sur les cimes les plus élevées. Pas une crête dénudée, ni un pic dépouillé, les vallées sont engorgées : sur les îles Marquises, les immenses falaises semblent vouloir se débarrasser de leur envahisseur exubérant en se précipitant dans la mer. Rien à faire. Les derniers palmiers, bien que vacillants, résistent, trempant leurs plumes tantôt dans le bleu du ciel, tantôt dans celui de l’océan.
Hiva Oa : sur les traces de Gauguin et Brel
Quand il arrive à Hiva Oa en 1901, Paul Gauguin cherche quant à lui à se débarrasser de l’influence de la civilisation, et peindre comme l’enfant. “Je me suis reculé bien loin, plus loin que les chevaux du Parthénon… jusqu’au dada de mon enfance…”, consigne-t-il dans ses carnets. Mais ses nus et ses couleurs vives, hors la loi, ne convainquent pas à Paris. Et l’homme multiplie les altercations avec les autorités locales. Las, il décède, deux ans après son arrivée, dans sa Maison du Jouir. Il est enterré dans le cimetière de la commune d’Atuona, à quelques mètres de la tombe de Jacques Brel.
“Nous serons comme deux larrons à côté du Christ”, avait souhaité, bien des années plus tard, le chanteur. Après cinquante-neuf jours en mer, lui cherche à se débarrasser de sa notoriété. Il décide de s’installer à Hiva Oa, parce que le postier, Fiston, lui demande à son arrivée de décliner son identité. Jacques Brel s’en réjouit. Il achète une maison à Atuona, puis un avion, Jojo. Jusqu’à sa mort, trois ans plus tard, en octobre 1978, il off re ses services aux Marquisiens, transportant les enfants, les malades et les religieuses, ainsi que le courrier. Sa maison n’existe plus, mais son avion trône dans un espace culturel au cœur de la commune, non loin d’une réplique de la Maison du Jouir de Gauguin.
Le cimetière est désormais le plus visité de la Polynésie française. La dernière reine d’Hiva Oa y est aussi enterrée, depuis 1909, avec sa bicyclette. Impassible et impérieux, le mont Temetiu veille sur le village, tandis qu’en contrebas l’îlot Hanakee joue les sentinelles, le dos rond aux assauts de l’océan. À quelques vallées d’ici, l’un des plus riches sites archéologiques des Marquises est niché en plein cœur d’une inextricable végétation, dans la baie de Puamau. On y trouve Takai, le plus grand des tiki polynésiens. Parmi les onze îles des Marquises, Hiva Oa est sans nul doute la plus remarquable : “L’île la plus jolie, disait encore Robert Louis Stevenson, et de loin, l’endroit le plus inquiétant.”
Dietmar Denger/Laif-REA
Nuku Hiva et Ua Pou : sauvages et inspirantes
La même gamme de verts, de gris, de bruns et la même étrange courbure à l’horizon, comme si l’île avait été mise sous cloche, sont visibles à Nuku Hiva. L’île accueille tous les voiliers qui font le tour du monde. Plus sauvage que sa cousine, elle est l’assurance d’insolites balades à cheval, même pour les débutants. Moins de dix ans avant d’écrire Moby Dick, Herman Melville, âgé de 23 ans, y débarque après avoir déserté son baleinier.
L’Américain est le premier à écrire sur les îles du Pacifique Sud. Seuls les navigateurs et les missionnaires s’étaient jusqu’ici prêtés à l’exercice. Une stèle, près du cimetière de Paahatea, rappelle son souvenir. Herman Melville passait de longues heures dans la rivière du clan des Taïpi, la Taipivai. Terres sauvages, dont le nom marquisien signifie “terre des hommes”, les Marquises attirent autant qu’elles questionnent :
“Quand on me demande de les décrire, disait le charismatique et sage Lucien Kimitete, ancien maire de Nuku Hiva, je réponds toujours que c’est un miroir. Le premier miroir, c’est cet océan. Le deuxième miroir, c’est la solitude : on ne peut pas se mentir à soi-même aux Marquises.” Ce qui questionne surtout, c’est la puissance que dégagent ces îles, situées à environ quatre heures d’avion de Tahiti. Comme ses voisines, Ua Pou impressionne avec ses douze pitons qui, telles “des flèches volcaniques”, écrit l’auteur de L’Île au trésor, défient les cieux. Saisissant.
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In the mood
“Gémir n’est pas de mise aux Marquises”, dixit feu Jacques Brel. Ça tombe bien, car on a davantage envie d’aller explorer la végétation et scruter les cimes des palmiers et des pitons volcaniques. En progressant dans la jungle, vous tomberez sûrement sur des tiki (statues sacrées) très anciens et en profiterez pour vous recueillir en faisant le vœu de revenir en Polynésie. D’aucuns préféreront pour cela se rendre à la messe dominicale où, en plus des chants et des prières, émergent de beaux chapeaux tressés artisanalement et piqués de fleurs. Tradition parmi les traditions, vous pourrez aussi opter pour un tatouage, aux effets protecteurs face aux influences maléfiques… Que l’on y croit ou pas, les tatoueurs polynésiens sont reconnus internationalement et vous marqueront de leur art. Après tout cela, vous irez vous coucher, comblés et heureux, bercés par les airs enjôleurs des ukulélés.
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Photographie de couverture : Dietmar Denger/Laif-REA