Parmi kilt, cornemuse, tug of war, chardon ou Flower of Scotland, un voyage en Écosse rencontre la distillerie. En son berceau, le whisky a sans aucun doute une valeur emblématique plus forte que son degré d’alcool. Ce n’est pas tout à fait la même chose de boire un verre de scotch que d’en vider un dram. À leur source, les choses paraissent neuves. Elles parlent un langage plus riche et suggestif. Et il n’est pas exagéré de penser qu’à Port Askaig, avec une gorgée de single malt, c’est une culture qu’on absorbe.
- Les origines du malt
- Dans les grands domaines du whisky écossais
- Quelques distilleries remarquables
- Au fait, le whisky, qu'est-ce que c'est ?
- Blend, malt, single cask
- La dégustation, tout un dram
- Quand le whisky se met enfin à table
- Une célébration en chanson
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Les origines du malt
C’est indéniable, l’Écosse a donné ses lettres de noblesse au whisky. Néanmoins, l’Irlande en revendique la paternité : saint Patrick lui aurait, dès 432, enseigné l’art du uisge beatha (littéralement “eau de vie” en irlandais). Péremptoire, mais mal fondé. À cela, les Écossais rétorquent que le saint est né à Auld Kilpatrick, village écossais du West-Dunbartonshire. Péremptoire aussi, mais encore plus mal fondé. L’imprécision entretient les querelles. Disons que l’antériorité irlandaise est reconnue, mais que le whisky moderne est un fait scottish. Ensuite, il y a whisky et whisky. Les distillateurs écossais ont des émules. Notamment en Amérique du Nord. Canada et États-Unis, peuplés comme ils l’ont été, n’ont pas manqué de faire chauffer les alambics. Le Kentucky et le Tennessee s’y sont distingués. Ainsi naquirent bourbon, rye, Tennessee whiskey. On sait désormais, par la place prise sur les rayonnages des boutiques spécialisées (et des supermarkets), que les Japonais s’y sont mis à leur tour. Et avec talent. On peut leur accorder un style propre. En fait, récemment, la production du whisky s’est internationalisée et on trouve de très bonnes bouteilles en France, en Allemagne ou en Tasmanie : Hellyers Road Distillery fait des merveilles. Pourtant – en dépit du soft power US, des modes ou du patriotisme éthylique –, on revient toujours aux malts écossais. Comme on revient toujours, telle une norme, aux vins français ou au nuoc-mâm vietnamien.
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Dans les grands domaines du whisky écossais
On peut sans abus appliquer la notion de terroir aux whiskies écossais. Enfin, aux malts car, pour les blends, leur caractère est d’un autre ordre : l’art de l’assemblage. Voyons donc les premiers. Au sud, les distilleries des Lowlands produisent des whiskies fringants et fruités, accessibles aux néophytes et aux dilettantes. Campbeltown, sur le Mull of Kintyre, reprend ces temps-ci du poil de l’alambic ; les buveurs appréciant ses distillats ronds et discrètement tourbés. Un peu au large, Islay est la terre bénie des amateurs de whiskies tourbés. La matière organique elle-même, l’eau qu’elle filtre, les influences marines, tout concourt à donner au breuvage un caractère vif, complexe, emporté. Reflet d’une terre qui n’a rien à voir avec les ondulations calmes des Lowlands. On trouve un esprit similaire dans les Islands occidentales (avec peut-être un peu plus de concentration et un peu moins de lyrisme). Quant aux Highlands, c’est une vaste région. Néanmoins, le Speyside, donnant au nord sur le Moray Firth, en est le centre distillateur. On trouve là des whiskies nuancés, complexes et élégants. Ils sont les champions d’une Écosse sereine, mais pas amollie.
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Quelques distilleries remarquables
Glengoyne, au nord de Glasgow, a ses alambics dans les Highlands et ses chais dans les Lowlands. Elle est héritière de la Burnfoot Distillery, fondée en 1833, à l’issue des temps héroïques de la clandestinité. On peut la voir dans The Angels’ Share (La Part des anges, 2012), le film de Ken Loach. Elle passe pour la plus belle distillerie d’Écosse. Et l’une des dernières à utiliser l’orge de qualité supérieure Golden Promise pour son malt. Dalwhinnie, dans les Highlands centrales, est la plus perchée des distilleries écossaises : 352 mètres. Avant de prendre le train contemporain du single malt, elle a procuré son malt au blend Black and White. Elle fournit l’un des Six Classic Malts of Scotland. Les cinq autres étant Glenkinchie (Lowlands), Cragganmore (Speyside), Oban (West Highlands), Lagavulin (Islay) et Talisker (Skye). Puisqu’on en parle, Talisker a été fondée en 1830. Elle possède encore des washbacks (cuves où sont mélangés un mout sucré, le wort, et les levures) en bois. Les whiskies maison sont caractéristiques des Islands : marqués par la tourbe et les humeurs marines. Pour Bowmore, c’est à Islay. Fondée en 1779, elle est la plus ancienne distillerie de l’île. Et a connu les vicissitudes de la vie de distillerie. Étant notamment reconvertie, pendant la dernière guerre, en siège du RAF Coastal Command. Pour faire du whisky, on produit de la chaleur : Bowmore profite de celle-ci pour chauffer une piscine publique. Enfin, Glenfiddich, fondée en 1886 dans le Speyside, a été à l’origine du mouvement single malt dans les années 1970. Ce qui mérite d’être signalé. Quelques distilleries parmi de nombreuses autres, qui invitent elles aussi à la visite de leurs installations (et à la découverte de leur production).
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Au fait, le whisky, qu’est-ce que c’est ?
Une eau-de-vie. Ce qu’établit la visite de la première distillerie venue. Nul ne voyage en Écosse sans se faire expliquer par le menu comment on passe du grain au verre. Certaines maisons font cela très bien. Ainsi la Royal Lochnagar Distillery (Highlands) qui – non loin de Balmoral Castle, résidence écossaise de la famille régnante – n’est pas la première distillerie venue. Le guide vous initie au travail effectué là. Il vous montre que, d’abord, viennent l’eau et la céréale. En cela, le whisky est cousin de la bière. La fabrication se fait en cinq phases : maltage, brassage, fermentation, distillation, vieillissement. Il faut faire germer de l’orge pour obtenir du malt, lequel est séché au four (kiln) une fois la germination souhaitée obtenue. Le brassage (mashing) permet, par adjonction d’eau chaude au malt et mouvement, de produire le wort (un mout sucré). Ici, on vous explique la chimie de l’affaire, mais restons candides. À fin de fermentation, le wort est additionné de levures qui, faisant glub glub dans le washback, transforment le sucre en alcool (ce processus est mesuré avec précision pour que les levures ne s’emballent pas). De cette façon, on a produit le wash, une bière, qui titre dans les 8°. La quatrième phase consiste à distiller ce wash. Qu’est-ce donc que distiller ? Extraire l’alcool par chauffage et condensation. Pour ce faire, la distillerie possède des alambics. De modèle pot still dans le cas des malts. Le spirit qui sort de ces appareils ventrus à col de cygne envoie dans les 70°. Il sera par la suite ramené à un tempérament plus raisonnable par adjonction d’eau. Enfin, le vieillissement se fait en fûts de chêne – neufs ou de réemploi : bourbon, sherry, sauternes, rhum, etc. Tous ces éléments, tous ces actes déterminent le caractère du whisky. Il se dit d’ailleurs que la substitution du plus ténu change le whisky. C’est constater que rien n’est indifférent dans une distillerie.
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Blend, malt, single cask
On vient de décrire le processus d’élaboration du whisky de malt. Qu’est-ce alors qu’un blend ? Le blend whisky est un assemblage. En général, de grain whisky et de malt whiskies (en proportions variables). Étant entendu que le grain whisky fournit le volume et les malts la saveur. Alors, qu’est-ce que le grain ? Un whisky fait avec des céréales non maltées et un alambic à distillation continue, patent still. Donc, le blend a une base de grain, à laquelle est ajoutée une composition de malts. Est-ce à dire que les blends, c’est moins bien ? D’abord, ils furent longtemps la règle. Ensuite, oui et non. L’ordinaire, ce sont des blends ; néanmoins, il s’est développé tout un savoir-faire des mélanges et blend n’est pas synonyme de médiocre. La mode, avec ses gros sabots, ne porte pas à justice. On a aussi des assemblages de malts – malt scotch whisky de plusieurs distilleries – ou de grains. Du coup, blended grain ne comporte pas de malt, blended malt pas de grain et blended scotch de l’un et de l’autre. Outre cela, le whisky peut être single grain ou single malt : non mélangé. Il provient en ce cas d’une seule distillerie. Quant au single cask, il est tiré d’une unique barrique. L’aristocratie. Oui, quand même. Pour avoir droit à l’appellation scotch whisky, trois ans de vieillissement en barrique sont impératifs. Le temps de fût est indiqué sur l’étiquette. En cas de mélange, l’âge est celui du composant le plus jeune.
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La dégustation, tout un dram
Considérant que le lecteur (ou la lectrice) sait se tenir, regardons cet aspect de la question en gentleman (ou en lady). On ne boit pas le whisky en Suisse, ni comme un Polonais. C’est un acte social et équilibré. Enfin, en principe. Le cuir ou le bois ciré, la laine, un certain rituel confortable, le cristal taillé vont bien à l’entreprise. Le tartan fait un peu too much si on n’est pas Écossais. Une vieille bouteille se respecte comme telle, le breuvage qu’elle contient n’ayant pas évolué depuis sa sortie du fût. Le flacon peut ennoblir un whisky blanc-bec, mais c’est un peu se pousser du col. Pas de glaçon, il est fatal aux arômes ; en revanche, quelques gouttes d’eau pure peuvent les libérer. Et ne faites pas rouler votre whisky dans le verre. Vous passeriez incontinent pour un continental. Ce qui est contrariant. Surtout si c’est vrai. Pour le verre, l’idéal est quand même un léger étranglement en haut : lorsque le nez se penche vers lui, il y trouve les essences concentrées (et non papillonnant alentour). En somme, le whisky se boit sans simagrées. Lorsque vous demandez du whisky dans un bar, un pub ou un restaurant écossais, parlez en dram. C’est une unité de volume et de poids qui ne concerne plus guère que la pharmacie et le whisky. Invariable dans le premier cas, elle est plutôt élastique dans le second. Précisément, elle correspond à la dose de base que le serveur vous consent. En règle générale, entre 25 et 35 millilitres. Pour obtenir le même résultat, vous auriez aussi bien pu, d’ailleurs, commander “a nip”, “a toot” ou “a snifter”.
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Quand le whisky se met enfin à table
Le whisky est un costaud auquel on ne peut présenter de mauviette. Quand bien même celle-ci se mettrait encore au gratin. Il faut du carré et du puissant pour faire le poids gustatif. Et des affinités. Les huîtres se défendent et on leur apparie bien les whiskies d’Islay, par exemple. Leur ton iodé et bourrasque répond à la limpidité salée du mollusque. Celui-ci sera clair ; gras, l’attelage irait d’un pas lourd. Le poisson fumé fait un bon compagnon des whiskies tourbés. On veille cependant à ne pas provoquer de surenchère, il faut de l’onctuosité et une flatterie mutuelle. Sinon, c’est l’âtre froid. Les saveurs relevées du gibier s’accommodent parfaitement de whiskies qui ont quelque part dans leur palette aromatique des notes confites. C’est un meeting de haut rang et de haute tradition, qui invite à méditer le whisky comme miroir d’une nature. On a signalé depuis bien longtemps que chocolat et whisky s’accordent. Vrai et glamour. Et puis, last but not least, vient le haggis, cette panse de brebis farcie, longtemps moquée et désormais respectable, que les Écossais tiennent pour leur plat national. Il est d’ordinaire flanqué d’un scotch. Autant pour l’accord des symboles que pour celui des saveurs. Et puisque tradition ne va pas sans création, nous indiquons encore qu’un fromage comme le lanark blue, dans la vallée de la Clyde, se conçoit tout à fait avec un blend un peu rond.
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Une célébration en chanson
En 1782, le grand poète écossais Robert Burns compose John Barleycorn: A Ballad à partir d’une chanson plus ancienne. C’est une ode au whisky, dont la dernière strophe est pleine d’éloquence cheers :
Then let us toast John Barleycorn,
Each man a glass in hand;
And may his great posterity
Ne’er fail in old Scotland!
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Par
EMMANUEL BOUTAN
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