Après de longues années dans l’ombre de ses fléaux, la Colombie retrouve la lumière au grand bonheur des voyageurs curieux. Derrière sa jolie façade concentrant toutes les couleurs de l’Amérique latine, elle affiche une personnalité à part, déroutante et envoûtante. À travers deux récits de voyages, voici un avant-goût de l’eldorado.
Bocachicos ou Bacalaos
C'est à l'aube qu'Agusto m'a donné rendez-vous, devant chez lui. Le quartier de la Boquilla a, dès mes premiers jours à Carthagène, attiré mon attention. L'âme populaire de la « Perle des Caraïbes » vit toujours en exil dans ce petit village de bric et de broc. « Aqui somos todos afro descendientes » m'a dit-il vite avoué avec une pointe de fierté ce matin-là. Agusto, je l'ai rencontré le lendemain de mon arrivée. Accompagné de son fils le plus jeune, il vendait ses poissons dans une brouette, sillonnant les rues colorées du centre historique. À Carthagène, on vend ses fruits, ses légumes, ses empanadas ou le fruit de sa pêche en les criant. Certains chantent même ce qui leur reste et n'hésitent pas à faire claquer leur langue pour rythmer leur phrasé. « J'ai là cinq bocachicos et quatre beaux bacalaos, accompagnés de riz de coco et de patacon ils rendront amoureuse la femme que tu aimes mon ami ! » m'a-t-il promis en me les présentant avec un large sourire. « Señor Agusto (c'est le nom qui était peint en bleu sur sa brouette), la femme que j'aime a le goût de l'effort et pour qu'elle tombe amoureuse il faut que je lui ramène les poissons que j'aurai pêchés moi-même, puis-je vous accompagner demain ? » Agusto a éclaté de rire d'abord. Puis, après avoir reculé d'un pas, il m'a regardé plus profondément, de la tête au pied « Sais-tu pêcher ? Oui bien sûr ! » « Alors viens demain me donner un coup de main, mon fils doit aller tôt à l'école et j'ai toujours besoin d'aide sur la pirogue ». Il sortit un morceau de papier de sa poche puis gribouilla son adresse. « Je t'attends à cinq heures, me dit-il, puis il me serra la main, saisit sa brouette et se dirigea vers la plaza de la Trinidad.
Marta Nascimento/REA
Cinq heures donc. Le taxi me laisse devant une bicoque de planches en bois. La nuit porte ses dernières couleurs pâles. Le soleil n'est pas loin, prêt à envahir les rues de tout son poids. Entre ces lumières encore sombres, Agusto est bien là, assis sur les marches de sa porte. Il me sourit et m'invite à m'asseoir à côté de lui. Sur ses genoux s'étend un long filet qu'il raccommode avec la lame de son couteau. Ses doigts forts et polis par la mer se glissent instinctivement entre les mailles. En se levant, il me montre sa pirogue de bois flotté, amarrée à un arbuste de mangrove. Le vent fait doucement frissonner les feuilles de celle qui garde les poissons et protège les oiseaux de « son paysage ». Agusto se lève lentement en épiant la mer d'huile. Je peux voir dans son regard braqué sur l'horizon toute la sagesse et l'humilité des gens simples. Pêcher est pour lui une prière qui rythme chaque matin, le silence de la mangrove un prétexte pour un moment contemplatif. Señor Agusto avait raison : « C'est en pêchant qu'on apprend à aimer sa femme ».
Los pasos finos de la noche
Nous avons attendu la nuit. Gabriel avait insisté : « la Cordillère, ses chemins, ses lacs et le ciel auront beaucoup plus à nous offrir ». À la tombée du jour, nous étions partis couper du bois sec dans la forêt qui bordait sa maison. Selon lui, nous allions en avoir besoin. En rentrant, sa femme nous avait préparé une soupe épaisse à base de pommes de terre bouillies, de viande, de maïs et d'avocats. Il fallait que nos corps se réchauffent pour tenir bon. Je laissai mes mains sur mon bol en terre cuite tout en savourant l'odeur de mon repas. Maria nous servit tour à tour puis elle s'assit lentement et inclina la tête vers le haut. Elle murmura rapidement des mots, les yeux plissés, dans une concentration extrême. Son visage était doux et bienveillant. Gabriel faisait de même. Je compris qu'ils bénissaient le dîner et remerciaient Dieu pour la présence de chacun autour de cette table. Gabriel se leva ensuite pour souffler sur la bûche qui crépitait dans la cheminée. « Tu dois apprendre à faire confiance m'avait-il dit alors. Ils sentent tout et voient dans l'obscurité beaucoup mieux que ce que tu ne l'imagines. Laisse-toi porter, utilise tes sens. » Je savais que ses conseils me reviendraient une fois dehors, une fois que la nature, avec ses odeurs et ses bruits, deviendrait majestueuse et omniprésente.
Peter Frank Edwards/REDUX-REA
Maria me proposa de me resservir. Ses longs cheveux noirs longeaient sa nuque pour retomber avec élégance sur son épaule. Son visage respirait la force et la sagesse des femmes andines. Chacun de ses mouvements était grâce et légèreté. Son regard croisa le mien : « Sais-tu danser ? Oui répondis-je. Alors tu n'auras aucun mal à traverser la nuit me dit-elle en riant ». Gabriel alluma une cigarette et saisit sa guitare qui était accrochée sur l'un des murs de la cuisine. Il l'accorda et se mit à jouer quelques notes puis à chanter « Rayo, me dicen el rayo, con mi espada de fuego y mi escudo lunar hago un hueco y entierro la doble moral… ». Sa musique m'apaisa.
« Sais-tu danser ? Oui répondis-je. Alors tu n'auras aucun mal à traverser la nuit me dit-elle en riant »
Dehors le vent commença à souffler et à s'infiltrer sous la porte de la maison. Gabriel reposa sa guitare, termina son verre et se leva. « Le moment est arrivé » me dit-il en regardant songeur par la fenêtre. Tandis que Maria débarrassait la table, il saisit le bois sec et l'enroula rapidement autour d'une épaisse couverture qu'il ficela avec du « fique » (fibre de cactus de la région). Puis il me dit en sortant « attends-moi à l'entrée de la maison, il faut partir ». Maria revint avec deux sacoches de cuir remplies de provisions et un poncho qu'elle me tendit : « que tu camino sea luminoso ». Je sortis. La lune découpait l'ombre des arbres sur le sol. Le vent, lui, faisait danser leurs branches. J'aperçus trois silhouettes qui venaient vers moi. Je reconnus Gabriel et ses deux chevaux couleur cendre.
Bogota, la grande dame des Andes
La capitale andine a du chien ! Haute de ses 2 600 m d'altitude, adossée à l'Amazonie, fière de son quartier colonial, de sa place forte financière et de son dynamisme culturel, voici une bien drôle de dame que l'on n'attendait pas et qui cultive art de vivre et raffinement andin. Laissez-vous surprendre par son côté artiste : Botero en a fait sa muse, la fondation qui porte son nom vous envoûtera. Elle est aussi créative, ses artisans se transmettent leur art dans des ateliers débordants d'énergie, vous passerez bien les admirer en prenant un café. Son péché mignon ? La coquetterie... En témoigne son époustouflant musée de l'or. Plus qu’une simple porte d’entrée en Colombie, la capitale est donc une escale obligatoire pour tous les voyageurs en quête de culture.
Tayrona, l’indienne contemplative
La Sierra Nevada est depuis toujours un exemple d'harmonie entre l'homme et la nature. A la suivre on se rend vite compte que notre perception de la jungle tropicale est de loin dépassée. Au cœur du Parc Tayrona notamment, sur le site précolombien de Pueblito comme sur ses sublimes plages de sable blanc bordées d'énigmatiques rochers. Les plus aventuriers pousseront le retour aux sources jusqu’à la Cité Perdue. Le sommet de la Sierra, est aussi le point culminant du pays à 5775m, à 35km à vol d’oiseau de la mer des Caraïbes. Au petit matin on peut donc se baigner en contemplant les neiges éternelles. On comprend alors aisément pourquoi les Indiens de la Sierra vénèrent leur montagne comme le pont sacré entre mer et ciel.
La guajira, un désert face aux Caraïbes
Cette pointe aride et oubliée depuis des siècles, la plus septentrionale du continent sud américain, se dresse entre mer des Caraïbes et golfe du Venezuela. Vous êtes sur le territoire des Indiens Wayuu, une communauté matrilinéaire qui plonge profondément ses racines dans une terre râpeuse et tire sa cosmologie poétique d’une mer généreuse. L’aventure se prolonge vers Uribia, Cabo de la Vela, et enfin Punta Gallinas, la pointe la plus au nord de l’Amérique du Sud ou s’entrechoquent dunes et océan. Le voyage avec un grand V.
Le petit + Voyageurs
Malencontreusement débusquée en 1972 par deux guaqueros−pilleurs de tombes assoiffés d’or− la Cité Perdue reste l’une des grandes aventures colombiennes. Un trek de 5 jours (et 4 nuits en campement ou chez l’habitant) à travers la forêt tropicale de la Sierra. Le faible dénivelé et le niveau raisonnable (4 à 5 heures de marche par jour) permettent de s’acclimater en douceur au climat chaud et très humide de la région. Vous serez encadrés d’un guide francophone et d’un accompagnateur « Wiwa » qui vous initiera aux rites indiens au fil de la randonnée puis sur ce site sacré, garant de leur culture intimement liée à la nature. En haut des 1200 marches, vous apprendrez notamment que la jungle colombienne garde encore secrets, sept sites identiques.
Par
Thibaud Perdrix
Photographie de couverture : Frank Tophoven/LAIF-REA