Etats-Unis

Montana, l’Amérique initiale

Montana, l’Amérique initiale

Espaces jamais comptés, forêts à grizzlis, rivières pour champions de la mouche, montagnes comme aux premiers jours, ranches grands comme des départements, plaines à bisons… Au nord-ouest des Etats-Unis, le Montana est le gardien de « l’Amérique d’avant ».

 

Ici, pas de chichi. Les facilités d’Internet pas plus que l’élection d’un gouverneur démocrate (Steve Bullock, 51 ans) n’y changent quoi que ce soit : les manières du coin restent celles des temps de la conquête. Depuis l’école, on sait manier le lasso afin de trier les troupeaux, accrocher la Winchester à l’arrière du pick-up haut comme un camion et partir au galop pour un campement improvisé au milieu de nulle part. Il faut comprendre : le Montana, c’est un million d’habitants, moins que l’agglomération lyonnaise,  dispersés sur 380 000 km², un jardin plus vaste que l’Allemagne. En clair, on ne s’y bouscule jamais. Le 41ème état des USA (8 novembre 1889) est bordé au nord par le Canada et les immensités vides de l’Alberta, à l’est, par les deux Dakota, au sud, par le Wyoming où Bill Gates racheta la propriété de Buffalo Bill et, à l’ouest, par le très campagnard Idaho, royaume de la patate célébrée dans le seul musée au monde dédié au tubercule. Washington et ses costumes cintrés sont à 6 heures d’avion. Quant au Pacifique des californiennes siliconées, voilà bien les mièvreries d’une autre planète. Bref, l’Amérique dont on ne parle jamais, celle qui n’a ni gratte-ciel vertigineux, ni vallée pour roi du Net, aucun garage abritant les rock stars de demain, encore moins de musée futuriste à l’architecture d’épave désossée, c’est ici. Un morceau des Etats-Unis inchangé depuis l’arrivée des premiers colons (au XVIII siècle), galure chiffonné, gueule cabossée, six-coups vite dégainé.

femme qui lit une carte des Etats-Unis

Cory Staudacher

 

Français à l’origine

Officiellement, l’histoire du Montana commence en 1804 avec l’arrivée de Lewis et Clark. Erreur. L’égocentrisme américain en oublie que ce territoire fut d’abord français. Pierre de la Vérendrye, soldat explorateur originaire du Canada était venu buter sur les sommets des Rocheuses en 1743, circonstance suffisante pour intégrer ces plaines à bisons dans l’immense Nouvelle France que vendit Napoléon aux jeunes Etats-Unis en 1803. Ils cherchaient alors ce qu’entre deux trafics de fourrures troquées aux Indiens, on appelait « la mer de l’ouest ».

un camping car devant un café aux Etats-Unis

Lorraine Boogich/Getty Images/iStockphoto

Reste de cette épopée le nom de certaines tribus locales, Nez percé, Gros ventres, Pend d’Oreille, aux côtés des plus classiques Cheyenne, Sioux, Salish et autres Crowns, Blackfeet ou Apsaalooke, etc. Onze tribus au total aujourd’hui rassemblées dans sept réserves dont on traverse les territoires avec un inévitable pincement au cœur. Masures délabrées, fantômes errant le long de ruelles mal entretenues, boutiques clinquantes aux souvenirs made in China, artisanat approximatif… Les mannes de Sitting Bull et de Crazy Horse, les chefs sioux et cheyenne qui tinrent tête à Little Big Horn au général Custer et ses 647 tuniques bleues les 25 et 26 juin 1876 doivent en pleurer de désespoir. Ce fut la seule victoire indienne de l’histoire, une boucherie, aujourd‘hui marquée par un monument érigé à deux pas de Bozeman. Il a été inauguré en 2003, un descendant de Custer et un de Sitting Bull avançant main dans la main pour couper le ruban. Seuls les touristes s’y rendent. La mémoire des habitants du cru fait étonnamment défaut lorsqu’on évoque cet épisode très contesté de la conquête des terres à l’époque recherchées pour l’or et l’argent, des trésors face auxquels pas une coiffe de plume n’avait de valeur. Les habitants du Montana ont depuis longtemps tourné la page. Ils préfèrent parler de Mel Gibson, Patrick Duffy (Dallas), David Letterman (star américaine de la télé), Gary Cooper né à Helena, capitale de l’état, ou de la charmante Andi MacDowell, tous accros du Montana et de ses espaces jamais comptés, sauf en millions de dollars lorsqu’on y achète une retraite au vert. Traduire par ranch.

 

Les bisons de Ted Turner

Sans oublier Ted Turner, 80 ans tout rond cette année, génial fondateur de CNN, un temps marié à Jane Fonda et tranquille propriétaire du Flyng D Ranch, 46 000 hectares aux portes de Bozeman. Plus de quatre fois la superficie de Paris… Son crédo : le retour à l’état nature. Le seigneur de la communication y élève quelques milliers de bisons, le mammifère qui peuplait les grandes plaines lorsque seuls les Indiens s’en nourrissaient. Avec les 50 000 têtes qui paissent dans tous ses domaines américains (une dizaine), Mister Ted est devenu le premier éleveur du genre dans le monde. Et le plus grand propriétaire terrien des Etats-Unis. Il entend ainsi contribuer à la restauration des populations initiales du grand ouest. Dont acte. Le Montana adore ce genre de philosophie.

Les bisons de Ted Turner

Théo Gosselin/Maud Chalard

Du coup, le séjour dans un ranch est un des basiques du tourisme local. Plusieurs dizaines d’adresses ouvrent leurs portes à ceux qui veulent entrer dans la légende du western. Avant toute découverte, signature d’une décharge totale en cas d’accident, les assureurs américains sont impitoyables, et let’s go ! La selle est un modèle de confort, on dirait celle d’une Harley-Davidson, capable de réjouir n’importe quel fessier ou de tolérer le plus ignare des débutants. Marche et petit trot de rigueur pour aller chercher le bétail en compagnie des cow-boys professionnels afin d’ouvrir une nouvelle pâture, le tout, dans un cadre dont on ne voit jamais les frontières, la moindre parcelle affichant ses hectares par centaines.

Halte en bord de rivière, elle n’a pas été pêchée depuis des lustres, une mouche, un fil et l’imprudente truite arc-en-ciel s’invite au menu. Une seule par personne, la règle est absolue, on relâche les autres prises. Plus tard, observation d’une harde de cervidés, d’un grizzli peut-être, de l’aigle royal à coup sûr. Ce soir, campement sur les hauteurs, steak jeté sur la braise, maïs grillé croqué sur l’épi, verre de Bourbon, allez, deux, et nuit le nez dans les étoiles. Demain, retour au ranch, repas pris avec les pros de la maison, salopette en jean écru et chemise à carreaux, Stetson et santiags à éperons, bandana et gants de cuir glissés dans la poche arrière du pantalon. Epatant pour la vidéo. A suivre, initiation au lasso, démonstration de rodéo, marquage du bétail au fer, technique de tri pour rassembler les mères avec leurs petits, construction d’un corral… On en repart incollable sur le quotidien de ces fermiers de l’immensité qui perpétuent les traditions du grand ouest.

 

Yellowstone et Glacier

Le Montana ne se résume toutefois pas à son patrimoine agricole. Il vaut aussi pour ses espaces libérés de toute activité économique, à commencer par les parcs nationaux. Yellowstone d’abord, 9 000 km² de forêts, lacs, geysers, rivières, cascades, tanières à loups et à ours bruns qui se régalent des myrtilles tendues en immenses tapis, chemins de randonnée filant sur des centaines de kilomètres… On y passerait des semaines sans la moindre intention de retour au monde ordinaire. Cet espace est protégé depuis 1872, première décision écolo prise sur terre.

parc national de yellowstone wyoming etats-unis

Théo Gosselin/Maud Chalard

Glacier national Park ensuite, une merveille aux sommets blanchis jusqu’en juin. Ils servent d’écrins à une bonne centaine de lacs, autant de miroirs émeraude, turquoise, marine, jade claire…, bordés par des forêts de cèdres à l’abri desquelles filent des chemins (1 100 km quand même !) pour randonneurs et VTTistes. L’ours, le mouflon, l’élan, la marmotte géante, le renard et l’aigle en sont les seigneurs. On peut évidemment se contenter de suivre la route de 80 km qui le traverse, sous le joli nom de Going to the Sun. Pour certains, c’est carrément la plus belle des Etats-Unis avec ses cadres de vertige. En été, le cabriolet est épatant.

Mais surtout, prière de savourer un art de vivre assez étonnant, tout d’insouciance et d’américanité, au point qu’on a parfois du mal à imaginer d’où cette infinie campagne tire ses coquets revenus que traduisent grandes maisons de bois cossues, 4X4 chics et hauts sur roues, bikers en Harley et limousines vintage aux chromes rutilants. L’élevage de centaines de milliers de têtes à cornes, les fameux black angus, d’accord, puis le tourisme et les mines, à la marge.

 

Terre d’inspiration des écrivains

Sans oublier cette étrange auréole qui depuis quelques décennies, coiffe Missoula. Un trou pour certains, une pépinière pour d’autres. Ce gros village d’à peine 100 000 habitants a la particularité d’abriter des dizaines d’écrivains. Tous, ou presque, inspirés par l’immense nature environnante. Au point que l’université locale a développé un atelier d’écriture romanesque. Dans le sillage de Norman Maclean qui signa Et au milieu coule une rivière (toute l’histoire se passe ici), une pléiade d’as de la plume ont occupé les terrasses des bistros du centre-ville, cahier grand ouvert et stylo aux aguets. La « Missoula connection » comme on dit, était née, portée par Jim Harrison, James Crumley, Raymond Carver, Richard Hugo, Neil MacMahon et bien d’autres. Leurs bouquins ne font pas toujours des triomphes mais ils tiennent bon. Le Montana est leur territoire d’inspiration : ciel plus grand qu’ailleurs, légendes taillées pour traverser le temps, air si léger qu’il impose la déraison. Envie de passion, de liberté, de conquête, de nouveaux horizons.

Jolie maison éclairée aux Etats-Unis

Montana, gardien de l’Amérique initiale, nous voilà. 

 

Par

JEAN-PIERRE CHANIAL

 

Photographie de couverture

JEAN-MARIE BIELE