L’Inde est un autre espace-temps dans lequel le voyageur perd ses repères occidentaux. C’est un voyage à part. Une multitude de possibilités pour une destination toute en sensations. Accompagnée de spécialistes de la destination, notre rédactrice en chef Valérie Expert et ses invités, échangent sur les paysages, la culture, l’Histoire et la gastronomie de l’Inde
Avec la participation de Beena Paradin, experte en cuisine indienne et directrice de la marque Beendhi, Michel-Yves Labbé, fondateur de Départ Demain, Olivier Roellinger, chef cuisinier et directeur des Maisons de Bricourt à Cancale, Gino Pierre, directeur du Département Grands Voyageurs à Voyageurs du Monde et Jean-François Rial, PDG de Voyageurs du Monde.
Le Rajasthan, porte d’entrée de l’Inde
“Je dis souvent qu’il y a cinq grandes Indes, même si en fait il y en a beaucoup plus !”. C’est par un constat sur la grande diversité de ce pays que Jean-François Rial commence cette émission dédiée à l’Inde ou plutôt aux Indes. La première : le Rajasthan. Avec ses comparses, il s’accorde à dire que cette région et ses grands palais reste la destination la plus prisée des touristes. Pourtant, ce n’est qu’après de nombreux voyages en Inde que Jean-François Rial y pose ses valises, s’y laisse séduire et en repart subjugué : “Le Rajasthan, c’est un vrai choc esthétique, il y a une lumière, une brume incroyables, les tenues des hommes et des femmes sont superbes. Tout est beau, on est envoûté”.
Gino Pierre confirme : le Rajasthan est bien la première porte d’entrée de l’Inde, “la carte postale des palais, des Maharajas… Mais, chez Voyageurs du Monde, on va vous construire un voyage qui vous ressemble. Même le Rajasthan, on va vous le proposer différemment”. Son succès touristique ne gâche en rien ses attraits. “C’est superbe. Jaipur est une ville extraordinaire. C’est une région qui combine montagnes, déserts et villes étonnantes”, ajoute Michel-Yves Labbé qui suggère aussi de découvrir la région en train et même de “vivre le train” avec les Indiens. Beena Paradin , elle, y est allée comme dans un cliché de carte postale, en voyage de noces : “J’ai été complètement fascinée par la beauté architecturale, une architecture apportée par les Moghols. Dans le sud, on ne voit jamais ces palais magiques”… Des palais magiques transformés en hôtels magnifiques dont l’Umaid Bhawan Palace à Jodhpur, classé meilleur hôtel du monde en 2016. A Jodhpur, on peut même dormir chez le Maharaja ! “Vous vous rendez compte, il dort dans une partie de son palais et vous dans l’autre, transformée en hôtel !”, s’exalte Gino Pierre, également fasciné par la richesse architecturale de la région qui ne se limite pas aux villes mais touche aussi les villages où les maisons de campagne des Maharajas, qu’on appelle des forts, sont aussi converties en hôtels. Il arrive que de vrais princes accueillent eux-mêmes leurs hôtes.
L’Inde spirituelle
Du “pays des princes”, nos amoureux de l’Inde entraînent l’auditeur dans un voyage spirituel. Jean-François Rial ne peut concevoir l’Inde sans la vallée du Gange. “C’est la deuxième Inde, l’Inde profondément spirituelle de Rishikesh à Calcutta en passant par Bénarès”. Ce fut son premier voyage et cette destination reste celle qu’il préfère, de loin. Pourtant, c’est une Inde qui fait toujours peur. “Les gens ont encore cette image d’une Inde très sale. Ils ne veulent pas aller à Bénarès par exemple. Pourtant, la ville, le Gange, les Hindous qui viennent mourir et être incinérés sur les bords du fleuve, ça a été un vrai choc spirituel pour moi, une prégnance de la spiritualité qu’on ne voit pas ailleurs”, poursuit-il, en reconnaissant que Bénarès peut en effet être une expérience un peu dure et oriente le voyageur vers d’autres destinations spirituelles, moins connues des touristes, le long du Gange. “Vous pourrez vivre la même chose à Rishikesh où il y a des crémations sublimes avec beaucoup moins de monde. Encore plus rare : Mandu dans le Madhya Pradesh. Là vous êtes tout seul !”
La conversation évolue naturellement vers le sujet inévitable de la pauvreté qui freine le voyageur potentiel. “Il suffit de l’expliquer. Ce n’est pas la même conception de la pauvreté ni le même regard”. Il faut comprendre la notion de karma, réaliser qu’il existe une vraie solidarité entre les communautés et surtout, il est primordial d’être accompagné d’un excellent guide pour comprendre toutes les clefs de la société indienne, “il faut oublier ses codes et c’est le guide qui va vous emmener à ça”, explique Gino Pierre.
L’Inde spirituelle ne se cantonne pas aux rives du Gange, elle est partout : au Penjab où l’on peut découvrir le sikhisme, religion entre hindouisme et Islam, notamment dans les temples où l’on est en contemplation et méditation permanentes; au cœur de l’Inde aussi, dans les anciens états souverains musulmans comme le Falaknuma ou encore dans des lieux spirituels incroyables comme Dvaraka, la ville historique de Krishna.
Au-delà de la religion, la spiritualité est aussi présente chez les gens, sur leurs visages, dans leurs attitudes, leurs expressions, leurs gestes. “Je me souviens d’une expérience qui m’a marqué à vie, se souvient Jean-François Rial, je vais à Calcutta, qui est pour moi la ville indienne la plus intéressante. J’arrive très tôt en train de Darjeeling. Je vois tous ceux qui dorment dans la rue se lever. La lumière est incroyable, les têtes aussi car Calcutta est un carrefour. Je m’en souviendrai toute ma vie : j’ai passé deux heures à les regarder se lever, se laver, s’habiller, ils étaient d’une dignité absolue dans le dénuement le plus total”.
Aventures maritimes et poivre d’appellation contrôlée
Olivier Roellinger partage la même vision de la spiritualité en y ajoutant un sens : celui de l’odorat. “L’Inde, avant tout, c’est une odeur, une odeur que j’ai toujours à l’esprit qui permet d’entrer en lien avec la spiritualité. C’est aussi là où j’ai rencontré le regard du pauvre qui sera le plus riche d’entre nous. C’est le reflet de notre âme parfois”. Olivier Roellinger raconte l’Inde à la manière des grands explorateurs et, de fait, ne pouvait y arriver qu’en bateau : “ Je voulais m’imaginer ou tenter de m’imaginer être Vasco de Gama, arriver à Kochi avec une brume et plus on rentre dans ce port, plus les effluves de curcuma, de gingembre, de cardamone sont là”. Olivier Roellinger pense aussi au thé qu’à l’époque les Chinois amenaient à Kochi et au poivre ! “C’est tout un univers lié à l’aventure maritime européenne, cette obsession pendant des siècles de vouloir obtenir cette perle noire qu’est le poivre !”, raconte le grand chef. Une perle noire qui suscite le débat chez les invités de Valérie. “Quand on va à la boutique d’Olivier Roellinger à Cancale ou rue Sainte-Anne à Paris, il y a trente poivres, c’est complètement délirant”, constate Jean-François Rial qui félicite Olivier Roellinger d’avoir travaillé avec les producteurs du Kerala pour définir l’origine des poivres et comme pour le vin, de leur donner une appellation d’origine contrôlée. “L’intérêt, c’est de pouvoir présenter la diversité du monde et la biodiversité végétale, c’était une rencontre merveilleuse : jusque-là, les gens mangeaient des mélanges de poivre alors qu’on a la chance d’avoir toutes ces variétés différentes ”.
La cuisine de la vie
La ribambelle de poivres éveille les papilles des convives de Valérie. Ils se lancent dans une éloge de la cuisine indienne, qu’Olivier Roellinger décrit comme la “cuisine de la vie”. Outre le poivre, ce sont les épices qu’il affectionne particulièrement. Il raconte son art de les mélanger “à la française avec notre histoire d’aventure maritime”, des poudres à utiliser avec des produits lactés, pour une cuisine salée en accord avec celle de Beena Paradin, originaire du Kerala. Elle travaille avec Olivier Roellinger sur la recherche des épices et propose, via son blog Beendhi, des recettes végétariennes gourmandes, des boîtes de curry de lentilles toutes prêtes. “La cuisine indienne, c’est doublement une cuisine de la vie car la plupart des recettes indiennes sont influencées par les principes de l’Ayurveda, la science médicale ancienne. Chaque assiette est composée pour donner le meilleur et assurer une bonne santé. Elle a la grande vertu de proposer des plats végétariens dont on ne s’ennuie pas”, explique Beena Paradin. “Oui, c’est une cuisine qui réussit à nous faire oublier que l’on a besoin de protéines animales. On finit par ne manger que des plats de légumes et de féculents”, surenchérit Olivier Roellinger. Michel-Yves Labbé lui aussi adore ! “On est vite écarlate mais on est heureux, heureux de manger, c’est la vie !”.
Le Kerala et les autres Indes
Le Kerala a beau être le jardin des épices du pays, la “troisième Inde” de Jean-François Rial n’est pas son “Inde” préférée. Il la déconseille comme destination touristique et la compare à une “Ile Maurice” du sud-ouest de l’Inde, “chatoyante, agréable à vivre, sans problématique de pauvreté”, poursuit-il. La comparaison a à peine le temps de faire rire ses acolytes qu’il vante les mérites de ce qu’il appelle la quatrième Inde. “L’Inde dravidienne, au sud-est du pays, l’hindouisme profond : Quand on va à Madurai, on comprend ce qu’est la ferveur indienne. C’est un voyage extraordinaire mais pas le même que celui du Kerala. Mais bien sûr, on peut mixer les deux”, rassure Jean-François Rial.
Le Kerala, c’est là que Beena Paradin passait tous ses étés quand elle était enfant. Elle parle de région tropicale, d’endroit effectivement privilégié et développé par rapport au reste du pays.
Jean-François Rial la coupe : “Parce qu’ils étaient communistes !” “Communistes, façon Kerala, je précise !”, rétorque Beena Paradin avant de dévoiler plus d’informations à l’auditeur sur ce communisme qui, en même temps que rehausser les fonctions régaliennes de l’état dans des domaines tels que l’éducation et les infrastructures, a tenu compte de la culture de “traders” et de commerçants du Kerala, pour que ces derniers puissent continuer à faire du commerce à leur guise.
Beena Paradin aime sa région mais reste fascinée par la diversité de son pays. C’est dans des reportages télévisés en France qu’elle découvre ses différentes facettes et n’arrive pas à croire à tant de différences. Elle a quelques préférences : “J’aime particulièrement le Gujarat à l’est de l’Inde, c’est très préservé. Il y a une architecture qu’on ne connaît pas : des havelis gujarati - anciennes maisons de maîtres - qui sont magnifiques”. Il est temps pour Jean-François Rial de révéler sa cinquième Inde : l’himalayenne, “Une Inde aux multiples facettes où j’adore retourner. Et puis il y a des Indes cachées comme le Madhya Pradesh, l’Andhra Pradesh qui sont des régions où il y a très peu de monde, des temples incroyables au bord des rivières sacrées, ou encore l’Inde des tribus : l’Orissa ou les états proches de la frontière birmane”.
Villes, plages, saisons, enfants et petits conseils
Valérie rallie ses troupes, parties aux quatre coins du pays, pour se recentrer sur les villes indiennes. Alors que Michel-Yves révèle dans un récit haut en couleurs un moment d’épiphanie à la messe de minuit dans la cathédrale de Pondichéry, “une ville que j’aime, qui me rappelle les colonies, l’Indochine où j’ai vécu”, lorsque les femmes très élégantes se mettent à chanter “Douce nuit”, Gino Pierre vante les contrastes de Delhi. “Il s’y passe plein de choses, c’est une très belle ville où l’art contemporain est très présent”. Des galeries d’art de Connaught Place aux œuvres de Street Art qui tapissent la ville en passant par des défilés de mode et un festival de photographie de renommée internationale, les amateurs d’art contemporain seront comblés. Une modernité qui contraste avec la tradition de Old Dehli, à seulement un quart d’heure de voiture “où l’on vit une immersion totale”, raconte Gino Pierre.
Villes ou campagnes, l’Inde est une destination où on peut se rendre toute l’année en fonction des régions. “Il ne faut pas aller en Inde du sud l’été, il fait très chaud. Il y a toujours une saison adaptée en terme de saisonnalité”, précise Jean-François Rial. On y voyage à tous les âges. “Pour les enfants, c’est un terrain de jeux incroyable que je recommande toutefois aux plus de 10 ans”. Quant à la plage, les invités de Valérie révèlent qu’on ne va pas en Inde pour aller à la plage, même à Goa où “la plage n’est pas du tout incroyable”, lâchent-ils tous à l’unisson. C’est sur l’architecture portugaise magnifique du lieu qu’ils préfèrent s’attarder et sur des lectures incontournables telles que Compartiment pour Dames d’Anita Nair, le grand classique Siddhartha d’Hermann Hesse, La Cité de la Joie de Dominique Lapierre, Le Tigre Blanc d’Aravind Adiga ou encore Le Seigneur de Bombay de Vikram Chandra.
La carte postale de Michel Yves Labbé : le « Crash Crunch »
Pour terminer l’émission, Michel-Yves Labbé livre aux auditeurs une carte postale moins glamour que d’habitude puisqu’elle dévoile en détails, factuels et troublants, les événements qui ont suivi le crash crunch du 18 novembre 2016, “un crash crunch qui selon les analystes va coûter un an de PIB à l’Inde et peut-être son poste au président Monsieur Mukherjee”, déclare Michel-Yves Labbé. Il énumère les conséquences sur la population, sur le commerce, y colle, pour détendre l’atmosphère, des images comme celles d’oreillers bourrés de billets inutilisables qui voguent sur le Gange, de jeux au monopoly avec ces billets du jour au lendemain sans valeur ! Il rassure aussi les touristes, pour lesquels, “ça ne change pas grand-chose : les agences leur fournissent des nouveau billets et les distributeurs des grandes villes fonctionnent”.