La Polynésie est aquatique, la terre n’est là que pour s’ancrer, y faire une mer avec des hommes, êtres presque amphibies, vivant sur l’eau autant que sur terre. La terre ici n’est qu’accident, jeté de confettis de 118 îles qui font moins d’1% de la France, sur un espace plus grand que l’Europe.
Une histoire d'eau
C’est la mer qui les a amenés, les hommes maohis. C’est la mer qui les a protégés, longtemps, des explorateurs venus d’Occident. Ceux qui passaient parfois sur leurs trop grands bateaux, les isolant de l’eau au lieu d’être tout près d’elle, à la toucher, la sentir, sur les pirogues à balancier. Pour naviguer, les maohis utilisaient les vents, les courants, le ciel, les migrations d’oiseaux. Ils n’avaient pas de livre, mais chantaient le nom des étoiles : une carte du ciel auditive et précise que l’on se transmettait de génération en génération.
Peut-être que ce sont eux qui ont charmé les sirènes ? Difficile à savoir, les sirènes gardent le secret. Toujours est-il qu’ils sont arrivés, tranquilles, sans la brusquer, la mer. Ils ont mis des siècles à peupler progressivement ces îles éparpillées, d’abord les archipels des Marquises et de la Société, à partir de 900 avant JC, pense-t-on (les vestiges précisément datés les plus anciens sont aux Marquises, et datent de 150 avant JC.) Les Australes, elles, n’auraient été colonisées que vers 900 ou 1000 après JC. Les Tuamotu et les Gambier au XIIème siècle. Si Puka-Puka, à l’extrémité Nord-Est de l’archipel des Tuamotu fût découvert dès 1521 par Magellan, ce n’est qu’au XVIIIème siècle que les grands marins occidentaux (Byron, Bougainville, Cook) explorèrent véritablement l’archipel.
Une terre née de la mer
Les Occidentaux ont peur de l’eau. Ils ont besoin d’une base solide. Ils ont inventé une histoire de continent englouti. Forster, qui accompagnait Cook lors de son troisième voyage, pensait que la Polynésie était la crête d’un continent englouti dont seul émergerait encore le sommet des montagnes. Une thèse tenace, reprise à la moitié du XIXème siècle par Dumont d’Urville. La réalité est toute autre : les îles sont nées de la mer, chacune indépendamment, et y retournent progressivement. Les Marquises sont les plus jeunes, fièrement dressées sur l’Océan. Les îles de l’archipel de la Société commencent leur retour à la mer, elles s’affaissent peu à peu, créant le lagon qui les protège. Plus tard, toute l’île s’immerge, seul l’anneau extérieur affleure : c’est l’archipel des Tuamotu, cercle de sable au centre d’eau. La terre ici est transitoire, seule la mer compte vraiment.
Pêche et perles : vivre de la mer
La pêche est omniprésente, une pêche douce, à l’image des Polynésiens, qui se limite essentiellement à l’auto-consommation et au troc, ou au commerce local. Le plus souvent on ne prélève dans l’Océan que le strict nécessaire. Un pêcheur des Marquises raconte qu’une fois, avec des touristes, il avait sorti un marlin géant, immense “ voilier ” presque aussi grand que son bateau. Excès de bière aidant, il était rentré triomphant au port avec son trophée. Les touristes, en pension à l’hôtel, n’avaient nul besoin de se nourrir du poisson. Et la bête était trop grosse pour les seuls besoins de sa famille. Ils avaient mangé de l’espadon deux jours durant, avant de jeter le reste. Le pêcheur s’était senti si mal que maintenant il limite la bière lorsqu’il embarque les touristes. On pêche en mer avec les « poti marara », des pirogues motorisées, de forme élancée, qui à l’origine étaient destinées à la pêche aux poissons volants (les “marara”). Une pêche pratiquée à l’épuisette depuis le poste de navigation placé très haut à l’avant du bateau. Aujourd’hui, avec le poti marara, on pratique toutes formes de pêche en mer : au harpon, à la traîne, à la ligne de fond et même à la canne. Mais on pêche surtout les poissons du lagon : perroquets, chirurgiens, carangues : au filet (que l’on pose à trois ou quatre, à pied dans les hauts fonds), à la ligne, au fusil, avec des cages ou des nasses. Les poissons sont ensuite conservés vivants, dans des parcs.
Ici, les fermes aussi sont sur l’eau. Les célèbres perles “ de Tahiti ”, cultivées dans des fermes perlières depuis les années 1950, font l’objet de tous les soins. Noires, dit-on, elles déclinent toutes les nuances de l’arc en ciel, bleu, vert, gris, champagne, rose, et toutes les formes : ovales, en goutte, ou d’une rondeur parfaite. Les fermes perlières sont concentrées dans les Tuamotu, et produire de belles perles est tout un art. D’abord, il faut attendre trois ans, que l’huître arrive à maturité. Ensuite, il faut choisir une huître donneuse, dont l’éventail de couleur au niveau de la nacre est particulièrement intense, élégant, raffiné. Cette huître va être “ sacrifiée ” afin de fournir des segments de son manteau sécréteur. « Une série de sections du lobe du manteau » (appelé une greffe) de quelques millimètres carrés est coupée et préparée. Deuxième étape, le choix d’une huître réceptrice. Elle doit être en bonne santé et avec une gonade (glande reproductrice) large et bien développée. L’huître réceptrice est ouverte avec des pinces, afin d’introduire la greffe et le nucléon, une opération qui exige une compétence minutieuse. Après le processus de greffe, l’huître est remise dans l’eau des lagons pendant une période de 18 à 24 mois. Le nucléus implanté croît et prend la forme d’un sac perlier autour du noyau, l’enveloppant avec de fines couches de nacre sécrétée par l’huître. Cette période de croissance est critique pour l’huître aussi bien que pour le perliculteur. En effet, le taux de mortalité qui suit la greffe varie entre 10 et 40%. L’huître peut aussi simplement rejeter le nucléus. Mais si après 18 mois, la perle est de belle qualité, on réimplantera un nucléus plus gros, afin d’obtenir une plus grosse perle. Cette opération peut être répétée jusqu’à quatre fois.
Surf et Va'a : des loisirs ancrés en Polynésie
C’est dans le Pacifique qu’est né le surf. Sur les vagues d’Hawaï et de Polynésie. L’équipage du capitaine Cook rapporte la pratique de ce sport dès la fin du XVIIIeme : des Polynésiens glissant sur les déferlantes du Pacifique, non pas en pirogue, mais à l’aide de longues planches taillées dans un tronc d’arbre. Réservé en priorité aux chefs de tribus, le surf représentait alors un élément important et constitutif de la vie et de l’organisation de la communauté des îles. Après avoir été interdite (comme les danses, les tatouages, ou les déplacements en pirogue) par les missionnaires, au XIXème siècle, car les autochtones surfaient nus, la pratique se développe à Hawaï au début du XXeme siècle, avant de connaître un essor mondial dans les années 50.
Aujourd’hui, les surfeurs sillonnent la planète pour goûter à quelques spots mythiques, comme celui de Teahupoo au kilomètre zéro de la presqu’île de Tahiti.“Va’a” désigne en polynésien la pirogue à balancier unique que l’on retrouve chez tous les peuples océaniens. Sur d’autres continents, en Asie notamment, les pirogues comportent généralement deux flotteurs, mais ici, on murmure que les Polynésiens ont tellement la pirogue dans le sang, qu’un seul flotteur suffit. Au début des années 80, ce sport agonisait, au profit de sports plus tendance comme le surf. Le renouveau fut alors spectaculaire, la pratique devenant à la fois populaire et sport de haut niveau. La Fédération Tahitienne de Va’a compte désormais plus de 5000 licenciés et 191 clubs.
Chaque année, près de 2 000 pirogues individuelles sortent des ateliers des dix constructeurs locaux que comptent la Polynésie française. L’allure est restée la même que celle des Va’as ancestrales, mais de près, tout a changé : autrefois, les pirogues étaient taillées dans un seul et même tronc d’arbre, des embarcations certes sûres, mais extrêmement lourdes et par conséquent, plus lentes. Aujourd’hui, les matériaux et les techniques utilisées sont des plus modernes : carbone, fibre de verre, résine et moulage des coques au four. La compétition la plus célèbre est l’Hawaiki Nui, un hommage aux ancêtres qui voyagèrent en pirogue d’îles en îles, à travers tout le Pacifique. Cette course folle se déroule sur trois jours, entre Huahine Raiatea, Taha’a et Bora Bora. Des heures de rame quotidienne à un rythme effréné. Six rameurs, avec chacun un rôle bien particulier, pagayant sur un rythme parfait pour ne faire qu’un. Celui qui craque se jette à l’eau pour ne pas ralentir l’équipage.
Le rayonnement de cette course s’est étendu au monde entier. Ainsi une centaine d’équipages de Nouvelle-Zélande, d’Hawaï, du Brésil et de métropole prend chaque année, en novembre, le départ de l’Hawaiki Nui. Pirogue et surf ne sont pas de simples sports. Ce sont les piliers d’une culture profonde, au travers desquels vit et s’exprime l’âme de tout un peuple.