Guerres, patriarcat, place de la femme, révolutions… La littérature arabe livre des récits porteurs d’une conscience critique aiguë, mais aussi d’espoir. Une sélection des libraires Voyageurs du Monde.
Anthologie des femmes poètes du monde arabe
Collectif (divers pays) – Le Temps des Cerises
Qui sont les femmes arabes ? Cette compilation d’une cinquantaine de textes de femmes poètes fournit plusieurs réponses. Car ce recueil, qui bouscule quelque peu les clichés, met en lumière des femmes arabes désirantes, libres, modernes, habitées d’un feu intérieur. Et cela depuis toujours. La preuve avec les vers d’Al-Khansa, grande poétesse bédouine du VIIème siècle ; de Rabia al-Adawiyya, ancienne prostituée connue pour ses chants d’amour à Dieu (VIIIème) ; de Wallada, princesse andalouse (XIème)… Malgré les siècles, une poésie résolument contemporaine.
Bye Bye Babylone : Beyrouth 1975-1979
Lamia Ziadé (Liban) – P.O.L
À travers ce roman graphique aux illustrations pop, l’auteure retrace ses souvenirs de petite fille à la veille d’un conflit qui va durer quinze ans (1975- 1990). Lamia Ziadé a 7 ans à l’époque et nous raconte son enfance passée sous les bombes, entre rêve d’Occident et AK47. Paru chez Denoël en 2010 et rapidement épuisé, ce récit touchant est enfin réédité. Aujourd’hui âgée de 51 ans, la Franco-Libanaise, installée à Paris depuis ses 18 ans, expose ses dessins dans de nombreuses galeries.
Dix-neuf femmes : les Syriennes racontent
Samar Yazbek (Syrie) – Stock
Écrivaine et journaliste née en 1970 à Jableh, en Syrie, Samar Yazbek s’est interrogée sur le rôle des femmes dans la révolution syrienne depuis 2011. Minutieusement, elle a collecté les témoignages de 19 d’entre elles. Toutes dressent un constat implacable : la nécessité d’agir contre un régime dictatorial et une société qui fait d’elles des cibles sous prétexte de les protéger. Des expériences personnelles qui font toute la puissance de cet ouvrage.
La Bibliothèque enchantée
Mohammad Rabie (Égypte) – Actes Sud
Récompensé du premier prix littéraire du Sawiris Cultural Award en Égypte en 2011, le roman de Mohammad Rabie nous est enfin parvenu traduit en français. Né au Caire en 1978, l’auteur nous conduit au cœur de sa ville à travers les yeux de Chaher, jeune fonctionnaire au ministère des Biens de mainmorte, intrigué par une mystérieuse bibliothèque menacée de destruction au profit de la modernité d’une ligne de métro. Au contact du vieux cryptologue Sayyid, il va découvrir plusieurs traductions de textes fondateurs gardés jusqu’ici précieusement, dans un pays qui rase ses lieux de savoir. Un livre enchanteur.
Chronique d’un décalage
Azza Filali (Tunisie) – Elyzad
La folie, comme une autre manière d’éprouver le réel… Avant d’écrire des livres, Azza Filali, 67 ans, était professeur de gastro-entérologie à Tunis. Détentrice d’un master en philosophie depuis 2009, elle peuple ses romans de personnages vecteurs de réflexions existentielles… Ainsi, dans Chronique d’un décalage, aborde-t-elle la folie à travers Samia, enseignante. Malgré une écriture un peu sage, un puissant texte – acte identitaire s’il en est – sur les ressorts profonds de l’être.
Tu reviendras
Brahim Metiba (Algérie) – Elyzad
Le héros revient au pays après dix ans d’absence. Il avait fui l’Algérie suite à l’annonce de son homosexualité. Comment retrouver les siens, sans passer à côté de ses émotions ? Confronter les souvenirs et la réalité. Les textes d’autofiction de Brahim Metiba, né en 1977, semblent entretenir un lien de parenté avec ceux de Jean-Luc Lagarce (Juste la fin du monde, 1990 ; Le Pays lointain, 1995…) ou de Didier Eribon (Retour à Reims, 2009). Face à l’inextricable équation, son écriture vise juste et libère.
Le Livre des reines
Joumana Haddad (Liban) – Éditions Jacqueline Chambon
Depuis plusieurs ouvrages (J’ai tué Schéhérazade, 2010, Superman est arabe, 2013…), la poétesse et essayiste libanaise invite les femmes à s’émanciper des traditions patriarcales et liberticides. Saga familiale sur quatre générations, à travers quatre portraits de femmes fortes, Le Livre des reines enfonce le clou. Avec verve et ténacité, elle donne à voir un autre modèle de femme arabe, libre, épanouie, cultivée, qui lutte contre le destin avec dignité. Née en 1970 à Beyrouth, Joumana Haddad a fondé Jasad (“Le Corps”) en 2008, première revue érotique du monde arabe, et dirige également les pages culturelles d’An-Nahar, principal quotidien du pays.
N’appelle pas, il n’y a personne
Youssef Fadel (Maroc) – Actes Sud
À 25 ans, passer huit mois en prison pour une pièce de théâtre (La Guerre, en 1974) peut forger le caractère… Quarante-cinq ans plus tard, la fibre contestataire de Youssef Fadel reste intacte. Récompensé du plus prestigieux prix littéraire marocain (le prix du Maroc du livre) pour Un oiseau bleu et rare vole avec moi (2017), l’auteur et dramaturge nous gratifie à nouveau d’un texte dense et subtil. Entre espoir et résignation, le récit d’une rencontre passionnelle contrariée entre un homme et une femme – en creux, le portrait peu flatteur de la société marocaine actuelle.
Photographie de couverture : The New York Times/REDUX/REA