Pour quels voyageurs ?
Pour ceux qui pensent, comme nous, que tous les hommes ont deux pays. Leur terre natale, et puis l’Irlande. Pour les voyageurs qui répondent comme un seul homme : surtout l’Irlande. Pour celles et ceux qui rêvent en grand. Pour ceux et celles qui rêvent en douceur. Pour les voyageurs qui rêvent de fraterniser. Pour celles et ceux qui veulent le vent, les nuages, le soleil et la pluie rassemblés en un seul instant. Pour ceux et celles qui veulent rentrer fourbus d’une longue balade et s’écrouler dans un fauteuil au pied d’un feu de cheminée, d’un feu de tourbe. Pour ceux et celles qui veulent faire le tour du Ring of Kerry, mais sont plus que tout prêt à emprunter les sentiers de traverse. Pour les voyageurs qui veulent mettre leurs pas dans ceux du poète Seamus Heanay…
Ce que l’on trouve dans le Kerry, et nulle part ailleurs.
Les moors… Ces vastes étendues de bruyère où les longues plantes, vertes ou rousses selon la saison, résonnent au soir sous nos pieds comme une soie froissée… Les landes de tourbe, les bushes, ces buissons épais qui quadrillent l’espace sans limite, les murets de pierre qui semblent par instant paver le chemin jusqu’au ciel tendu très bas au-dessus des prés et prêter leurs flancs aux arcs en ciel afin qu’ils y prennent appui. Les saumons du Lough Cloonaghlin, les truites de mer du Loogh Namona. La Cummeragh river et ses eaux si pures. La Luane River où l’on pêchera à la mouche la belle truite Fario. Et puis l’île Valentia, à quelques encablures, où règne encore l’esprit des vikings… Waterville, Killorglin, Tralee Barrow, Killarney… Le plaisir d’une sensualité inouïe de savourer lentement, très lentement, une Guiness, rough et douce à la fois, à l’image de cette région bénie de Dieu. Brune, ronde, onctueuse, elle se marie avec la tourbe, le ciel, le vent, le soleil et la pluie rassemblés…
Vivre un moment unique lors de son voyage dans la région de Kerry.
Partir au hasard, accompagner la montée de l’aube dans les derniers jours de l’été, quand l’automne pointe dans un grain, un mouvement du ciel, un rayon de soleil plus intense. Chaussé d’une paire de bottes, avancer sur la lande infinie. S’enivrer du parfum de tourbe et de sel et d’embruns. Observer les jeux de la lumière, les oiseaux à la passée, la côte déchiquetée sous les assauts de l’océan. Goûter à la force tellurique du paysage. Céder le passage à un troupeau de moutons. Tendre son visage à la pluie lustrale et trouver refuge chez Nicks, à Killorglin, pour déguster un saumon accompagné d’un whiskey plus vieux que nos enfants… Et puis repartir à travers les chemins, et puis rentrer fourbu à la tombée du soir. Et se souvenir alors des vers de Seamus Heanay, les dire à voix basse : Shiffting Brillancies/Then winter light/In a doorway, and the stone doorstep/A beggar shivering silhouette.